Une
heure du matin avait sonnée sur Terre. Enki, tel une raie manta dans son
manteau volant couleur de nuit arrivait au-dessus du Palais. Se sachant
invisible il s’infiltra dans la suite royale et chercha son frère. Dans une
pièce intime du palais, Neki dans un canapé enserrait de son bras droit une magnifique jeune femme aux
longs cheveux bouclés, et, leur faisant face, la réplique à l’identique tentait
de faire bonne figure dans un profond fauteuil au coin de la cheminée où
brûlait un feu joyeux. Mais la fatigue se faisant sentir, il s’adressa à Orka
et lui dit que le chauffeur allait la ramener. Il claqua dans ses mains. La
jeune femme, sans attendre, les embrassa et sortit, visiblement, c’était devenu
une habitude.
Cela venait de changer les plans d’Enki, il ne parlerait pas à son frère ce
soir. Il allait la suivre. Il venait de comprendre qu’il ne pouvait percevoir
les corps subtils des jeunes femmes et cela le fâchait. Le piège était bien là.
Il devait savoir.
La
limousine la déposa devant un immeuble en briques rouges, correct sans plus,
face à au petit square Necker dans le XV° arrondissement. Elle disparut sous un
porche qui donnait dans une autre cour. Puis elle entra. Il attendit patiemment
non sans constater que son frère avait craqué, mais que lui craquerait bien
aussi… C’était une évidence. Comment résister à tant de grâce, de finesse, de
douceur, d’intelligence apparente ? Néanmoins, comment n’avait il pas
compris qu’elles n’étaient pas constituées normalement ? Il aurait dû s’inquiéter.
Il la
regardait dormir, ne pouvant s’empêcher de ressentir une certaine émotion.
Effectivement, on ne voyait pas en cet être, comme cela, à première vue, une
âme démoniaque. Mais bien souvent elles savaient se dissimuler sous des
apparences insignifiantes au départ. Ce n’est qu’en avançant que les traits
humains les trahissaient et les marquaient du sceau du mal. Lorsque le sommeil
devint profond, il ne se passait toujours rien. Ne voyant aucune élévation du
corps subtil, il passa ses mains le long de cette forme humaine : nulle énergie
ne circulait. Pourtant, elle était bien en vie. Quelque chose se passait qui
lui échappait. Qui pouvait bien s’adonner à ce jeu étrange ? Qui pouvait
aller à l’encontre de ses décisions ? Quelqu’un occupait donc ce corps par
intermittence comme on prend un vêtement en se levant. Ou alors ? Peut-être avait-elle une carapace magique empêchant de la voir. Mais qui savait
faire cela ? Lucifer, évidemment, ou ses parents ? Personne d’autre.
Erkym était avec lui. Comment savoir ? S’il faisait un acte magique et
débusquait le Maître des Abîmes, il devrait l’affronter seul, cette nuit.
Devant Kyré, il avait un peu exagéré… Il ne se sentait pas aussi fort que son
père. Et puis cette bataille mémorable qui avait fait trembler l’univers et
bouleversé les planètes, provoquant un chaos indescriptible dans ce qui
ressemblait au départ à un paradis interstellaire… Sans l’avoir vue, il en
avait largement entendu parler. Toutefois son père refusait énergiquement d’en
faire apparaître les images, disant qu’il ne fallait pas réveiller ces
émotions.
Pour la
première fois, il y avait comme une peur de ce corps féminin qui recelait
peut-être l’esprit d’un monstre. Comme elle le cachait bien ! Donc,
procédant par élimination, il se dit qu’il allait continuer sa surveillance,
puis il chercherait à tirer les vers du nez de sa mère. Il allait la jouer
fine. Il essaierait de lui faire dire juste des indices qui l’éclaireraient
suffisamment. Il en était certain, il finirait par comprendre. Pour l’instant,
il devait en référer à Erkym.
- ☺-
Enfermés
dans la grande salle voûtée, à la lumière de deux torches qui rendaient encore
plus étrange l’ambiance de ce lieu ancestral, les deux frères en tuniques
longues, assis sur les marches du trône de la salle des cérémonies comme
lorsqu’ils étaient gamins, semblaient très préoccupés. La lueur dansante des
flammes des flambeaux accusaient leurs traits, approfondissant les creux,
illuminant d’éclats fulgurants leurs prunelles, rendant sur leurs visages des
expressions certainement plus terribles qu’elles n’étaient réellement.
– Si
ce n’était pas toi qui avais vérifié, je ne le croirais pas. Quelle entité se
cache derrière ces nanas ? Qu’est-ce qu’on veut nous dissimuler ?
Qu’est-ce qui se prépare ? Mais comment peux-tu penser que ce serait un
plan de nos parents ? Mais pourquoi ? N’ont-ils pas confiance en
nous ?
– Mais,
c’est simple : ils ne voulaient pas que l’on envoie Neki ! Ou plutôt,
non… C’est lorsque j’ai dit qu’on allait le dissocier… Je n’ai vraiment pas
réalisé sur le moment combien j’avais dû choquer notre mère… Ce doit être ça,
fit-il pensif.
– Je
suis désolé, mais là, on ne va prendre de pincettes, il faut savoir. Rends-toi
compte que leur remède peut être pire que ce que nous avons prévu et que tout
va très mal tourner. Par qui commençons-nous ?
- ☺-
De la
terrasse, elle les voyait arriver à grandes enjambées. C’était certainement
l’heure de la manipulation… Elle sourit. Enki était persuadé que maintenant, il
était le Maître…Sale gosse, va ! Il voulait savoir et il ne céderait pas d’un
pouce, c’était dans son caractère. Il avait du découvrir quelque chose. Il lui
faudrait user de ses armes féminines. Elle retourna dans l’allée puis alla
s’installer tranquillement dans la grande salle luminescente.
Ils
l’entourèrent et l’embrassèrent chaleureusement.
– Alors ?
La situation vous inquiète, mes grands ? attaqua-t-elle.
– Mu,
répondit Erkym, nous craignons maintenant des conséquences très graves.
– A
qui la faute ?
– Non,
ne joue pas à ce jeu là avec nous, répartit Enki, tu es aussi inquiète que nous
le sommes, je le vois, affirma-t-il en l’observant de son regard perçant.
– Moins
que vous, plutôt. Ne projette pas sur moi tes angoisses, tu veux !
– Alors,
fit Erkym, c’est parce que toi, tu sais ! Donc tu agis…
– Et
à notre insu, compléta le plus grand.
– Oh,
les enfants ! Cela suffit. Vous vous êtes comportés d’une étrange façon,
j’ai vu arriver ici le sarcophage de cristal, sans vous, sans un mot, sans une
excuse. Vous n’aviez pas attendu que l’on en parle vraiment. Y avait-il donc
une urgence pareille ? Vous m’avez causé une peine immense... Et apparemment, cela vous est égal !
Troublés
par leur manque de sensibilité, ils prirent leur mère dans leurs bras.
–
Pardonne-moi, nous pensions que père qui était au courant allait être là, et
puis ce protocole ne souffre pas le moindre délai, aucun retard, c’est
extrêmement dangereux.
– C’est
bien ce que je vous reproche, fit-elle, pendant qu’Enki perturbé essuyait les larmes
qui coulaient sur le beau visage noir de sa mère.
Ils la
firent asseoir et se mirent chacun d’un côté. Quelle étrange femme, petite et
ronde, dans sa robe noire seulement éclairée de parmentures et d’une ceinture
d’argent, accordées à la couleur de ses longs cheveux ramassés par un
catogan ! Comme elle contrastait avec eux ! Ils se rendirent compte
combien elle leur était précieuse. Elle avait raison, ils avaient mal agi. Elle
profita de leur instant de faiblesse.
– Vous
ne pouvez pas comploter dans notre dos. Nous vous l’interdisons. Aussi,
effectivement, j’ai pris avec l’accord de votre père, des dispositions.
Le
visage d’Erkym s’éclaira, il avait tellement confiance en elle ! Pendant
qu’Enki les lèvres serrées, inquiet, se disait qu’elle venait de tout
compliquer, peut-être même de tout compromettre.
– Nous
avons détaché sur Terre trois étoiles majeures qui sont protégées par des
filtres.
– C’est
donc bien ça ! Remarque, je préfère… Enki paraissait enfin soulagé.
– Mais
qui est-ce ? Parce que nous avons cherché, en vain.
– Ce
sont des étoiles de la Constellation d'Orion .
– Ah,
l’idée des Jumelles ! Donc si je te comprends bien tu as fait ça, parce
que tu prévois un leurre, pendant qu’il va tomber amoureux de l’autre… C’est
bien ça ? C’est ce que j’aurais fait…
– Oui
Enki, mais tu ne l’as pas fait.
– Mais comment
Orion va-t-il prendre ça ? Il a certainement compris !
– Tu
sais, Erkym, Orion a été nommé Grand-Intendant et il les protège tous les
trois. Nous avons préféré cette solution, et pourtant, cette situation larvée,
explosera. Ils sont vraiment en danger. Je me suis engagée : aucune des
filles ne se retrouvera dans les pattes du Maître des Abîmes, nous ferons
absolument tout ce qu’il faut pour cela. Et puis, je suppose que vous le savez,
votre frère veut épouser Anka.
– Oui,
nous le savons.
– Votre
père a mis une condition à cette opération : que je me débrouille
pour qu’il n’y ait pas d’enfant dans l’immédiat, tant que le pire des dangers ne
sera pas écarté.
– Mais…ce
n’est pas aussi simple ! Fit Enki, surpris.
–
Effectivement. J’ai prévenu ton frère de faire attention. Il a parfaitement
compris. Pour l’instant, tout va bien.
- ☺-
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