À chaque pas, le sable de nuit s’enfonçait légèrement sous son poids plume, l’empreinte s’emplissant d’eau magique. Il venait de sortir de l’onde tumultueuse des vagues ourlées de lumière de lune. Semblant venir de nulle part, il marchait d’un pas souple mais décidé, à la rencontre de l’improbable. Au sol, ses pas devenaient de plus en plus secs. Seules les gouttes de lumière s’éparpillaient encore en cadence sur le sable moiré par d’anciennes vaguelettes. Peu à peu, ses habits sècheraient et redeviendraient ces peaux de lumière, peaux essentielles, qui savent vêtir les âmes les plus belles. Il avait encore les rondeurs de l’enfance, rondeurs de l’innocence, la fraîcheur de la connaissance originelle. Arrivant aux limites du sable sec, d’un coup de pied ajusté, un jet de sable d’un bleu marine jaillit et se pailleta de reflets de cristal. Un deuxième. Puis ce jeu l’amusant, mouvement de tous les enfants de la terre à l’automne, il avança en projetant un peu plus loin, à chaque pas, le sable qu’il foulait. Une traînée étrange désormais le suivait, comme annonçant sur cette nouvelle terre, l’arrivée de cet étranger.
D’où viens-tu Prince aux dreadlocks d’argent ? Que viens-tu faire sur cette terre étrange ? Sais-tu qu’en débarquant ici, tu avais accepté le risque de grandir ? C’est un pacte étrange. L’as-tu compris ?
La tête à la chevelure bizarre venait d’apercevoir un curieux spectacle. Comme des lits de feuilles tombées à l’arrière saison, elles étaient là, tombées ou ramenées par la mer de la nuit. Elles brillaient encore sur leurs bords. Il venait de les trouver ! Il s’était bien demandé pourquoi elles s’étaient éteintes, l’une après l’autre. Sûrement déçues par l’attitude des hommes ! Et puis, il avait vu les emplacements vides, elles étaient parties. Mais où ? Et comment vivre sans elles ? Alors, il n’avait eu de cesse de les chercher, arpentant à chaque fois une nouvelle planète. Il avait hélé les comètes. Mais elles filaient à perdre haleine en faisant juste un signe d’étincelles. Et comment l’univers resterait-il en vie si elles s’éteignaient toutes ? Il fallait savoir, aider si c’était possible. Il avait alors décidé de se couler encore une fois dans une larme de la nuit se laissant emporter dans un nouveau rêve. Traversant inlassablement de nouvelles mers de brumes, des nuages mirifiques, il voyageait dans le temps des planètes à la recherche des étoiles.
L’enfant allait de-ci-de-là, mais tout se ressemblait. Tout lui paraissait immuable, immobile, exaspérant. Pas un insecte, aucun semblant de vie. Il allait lui en donner de la vie à cette planète, foi de Prince ! De rage, il donna un coup de pied dans le premier tas de feuilles qui gisait là. Dans un crépitement de surprise, elles jaillirent du sol comme un tourbillon de lumière puis retombèrent en luisant faiblement. Il se pencha, en prit une. Tenta de la lancer le plus loin possible. Elle fit un vol plané lumineux, puis en spirale redescendit vers le sable d’un bleu profond, s’éteint et disparut comme fondue dans le sol pailleté. De dépit, il s’assit. Tristement, il les prit, une à une, dans ses mains cherchant à leur redonner un peu d’énergie. Elles bruissaient faiblement, une onde lumineuse en parcourait les contours, signe infime de faible vie.
« Vous n’allez pas mourir ? Je suis venu vous redonner vie. Vous n’avez pas le droit ! »
Un frisson de lueur les traversa. Il plongea les mains dans le tas cherchant désespérément.
« Vous êtes l’espoir, vous êtes les rêves, vous êtes les lumières de vie, les âmes de demain. Vous n’avez pas le droit ! »
Il tira la plus luisante, la plus grande. Il la caressa longuement. Elle était d’un bleu presque transparent.
– Qui es-tu ?
– Tu ne me connais pas. Je suis venue de très loin. Mais toi, sais-tu où tu es ?
– Je vais sans me soucier de l’endroit. Je vous cherchais.
– Tu es en danger. Ici, c’est la Terre-de-la-nuit-où-nul-ne-luit. Dans la galaxie du Monde-sombre, le monde de l’ombre. Un grand danger te menace, Petit Prince !
– Tiens, tu me connais ?
– Ici, tout le monde te connaît, tu es l’enfant d’argent, l’enfant promis. Notre petit Prince Bleu. Mais le danger est réel…
– Même si je parviens à en rallumer une ? Tu ne crois pas qu’elle me guidera ? Veux-tu être mon guide ?
– Nous nous éteignons lentement. Ici, tout s’éteint. C’est ainsi. Regarde-moi, je suis presque transparente, je vais disparaître…
– Pas si vite ! Réfléchis, sans vous il n’y aura plus de vie ! Pourquoi… ?
– Mais on ne t’a pas expliqué ? Progressivement l’homme épuise sa planète, il dit qu’il se suffit à lui-même. Du coup, il a éteint son ciel.
– Comment l’Homme a-t-il fait ?
– Il a éteint les rêves. Il a cherché à les teinter à l’argent. Mais l’argent de l’Homme n’est que du minerai sans esprit. Sa planète est le lieu des rêves. Il l’a oublié. Sa cupidité le perd. Puisqu’il n’a besoin que de lui, qu’il se débrouille, nous disparaissons.
– Mais sans vous, il n’y a plus de rêves.
– Les rêves blessés sont venus nous dire de partir.
– C’est pure folie. Ici, vous mourrez, alors nous allons mourir, nous aussi.
– Ce n’est pas grave.
– Si, c’est grave. J’ai fait de nombreux voyages dans les larmes de la nuit avant de vous trouver, il faut me comprendre. Comment faire pour vous décider de revenir ?
– C’est très compliqué, notre énergie s’amenuise de nuit en nuit, et ici comme il n’y a plus de jour, ça va plus vite. Il y a encore des retardataires, comme toujours. Mais bientôt nous serons toutes là ! Le ciel de l’Homme sera noir. Le soleil, lui aussi aura changé de galaxie, même les sauterelles de la terre de l’homme seront parties….
– Mais qui a décidé de ce voyage ?
– Notre Reine. Elle, la première d’une longue colonne, elle a pris le vent de la nuit : elles sont venues ici.
– Je veux la voir, je veux la convaincre de repartir.
– Elle n’est pas seule, le Rêve-Roi l’accompagne.
– Je veux les voir. Tu me conduis ?
– C’est impossible, Prince. Aucune de nous ne sait réellement où elle est. Écoute bien :
Chacune d'entre nous ne sait qu'une seule chose.
Cette Chose est notre richesse, notre diversité, notre message.
Tous les messages forment l'Univers...
– Mais vous êtes des myriades… ? Je ne vais jamais y arriver ! Le temps presse !
– Fais confiance à ton intuition. Parle-lui dans tes rêves. Elle te guidera.
– Donne-moi au moins un conseil, tu sais bien : la chose que tu sais, puisque tu n’en sais qu’une seule.
– Quand tu nous prends dans ta main, après nous avoir caressées, regarde-nous avec attention. Quand tu verras une pointe s’allonger légèrement, c’est que tu seras reconnu. Souhaite lui « Bon Jour » et demande lui qui elle est. Et puis après seulement tu pourras solliciter son conseil. Adieu, mon Prince…
– Mais qui es-tu ? Tu as oublié de me dire ton nom !
L’Étoile perdit sa lueur. Elle était partie ! Morte ? Ce mot avait-il une signification dans cet univers ?
Il regarda sa main presque vide, interloqué. Que lui avait-elle appris qu’il ne savait déjà ? Ne l’avait-il pas caressée, demandé qui elle était ? Elle n’avait pas répondu. Avait-elle eu une pointe qui avait grandi légèrement ? Il ne s’était pas rendu compte.
Désormais,
il ferait attention.
Le Petit Prince déposa l’étoile terne et
translucide, délicatement sur le tas. Toutes s’éteignirent d’un
seul coup. Il se releva, tout triste. Fit trois pas. Revint. Dans un
accès de colère, il donna un grand coup de pied dans le monticule.
Il le vit s’élever, tourbillonner et se disperser en grains de
sable bleu nuit. Surpris, il en prit une poignée et laissa couler
entre ses doigts ce qu’il venait de découvrir : il marchait
sur du sable d’étoiles.
Mais
voilà, comment faire ? Les tas d’étoiles amassés par le
vent de la nuit et les brumes de la mer formaient d’immenses vagues
luisantes, presque des dunes émaillées de lumières scintillantes
fugitives. Des étoiles en train de s’éteindre !
Une immense lassitude l’envahit. Comment trouver les bons conseils, les bonnes informations ? Il y en avait trop. Beaucoup trop. Il avait mis le pied sur la terre des étoiles mortes. Il s’assit sur un rocher phosphorescent et regarda le tapis qui clignotait à ses pieds. Il fallait repérer les plus grosses. La première, il l’avait trouvée sous un tas. Peut-être conduisait-elle les autres et était-elle tombée là, la première. Les autres l’avaient recouverte pour la protéger. Mais la protéger de quoi ? Il regarda autour de lui. Le paysage était magnifique. Tout était couleur de l’ombre, mais tout était bleu. Bleu foncé. Bleu Nuit.
La mer semblait s’être calmée. Elle brillait comme la lune de la terre des hommes. Mais l’astre n’envoyait plus sa lumière jusque là. Seuls les rochers éclairaient faiblement le paysage de leur luminescence.
Est-ce qu’il fallait fouiller chaque tas ? Ou alors le jeter en l’air et repérer lorsqu’elles retomberaient, s’il y en avait une grosse ? Et puis quel tas fallait-il choisir ? Des petits, des gros, des linéaires, des triangulaires, des ronds de sorcières ?
Cette terre semblait morte, était-il possible qu’elle soit absente de vie ? Il y avait de l’eau. De l’eau bleue qui pétillait légèrement. Une onde d’un bleu turquoise, bien belle. Il retourna sur ses pas, là où l’eau filtrée par le sable ressortait dans les empreintes de ses petits pieds. Dans un trou plus grand, au bas d’un rocher, il emplit sa gourde brune. Elle changea instantanément de couleur et se mit au diapason de la planète : une gourde bleue !
En arrivant, il avait pensé que cette eau n’était que sorcellerie. Pourtant, il était sorti de la mer sans être bleu. La gourde, elle aussi avait voyagé avec lui. Elle avait été mouillée par la mer et n’avait pas changé de couleur. Quelle était cette illusion ? L’expérience ne l’avait pas rassuré pour autant. Était-il risqué d’en boire ? Subitement il lui vint une idée saugrenue : et si lui aussi devenait bleu après s’en être désaltéré ? Était-ce le danger dont parlait l’étoile ? Qu’est-ce que ça allait faire ? Le faire mourir ? Le transformer en algue ? Il y avait des algues bleues sur le rocher. Il en prit une :
« Algue, serais-tu un homme qui a bu l’eau ? »
L’algue ne répondit pas. Il la reposa dans l’eau. Il ne voulait pas devenir bleu. Un point c’est tout. Il poserait la question à une grande étoile. Il vida sa gourde qui devint transparente. Tout était étrange, il fallait redoubler de prudence sur cette planète.
Et s’il appelait les étoiles ? Est-ce qu’elles viendraient à lui ? Alors il appela doucement :
« Étoile, ma belle étoile, illumine-moi…. »
Rien ne bougea. Étaient-elles dures d’oreille ? Dures d’antenne ? Dures de pointe ? Il fallait faire grandir l’extrémité. Il se dirigea vers la grande ligne d’étoiles qui bordait le sable fin. Il en saisit une qui brillait encore. Tira sur les deux pointes opposées. Elle disparut instantanément dans un crissement aigu.
Le jeune Prince était effrayé par ce qu’il avait fait. Ce devait être une mauvaise action. Il lui avait fait du mal. Au moment où il s’excusa, elle devint sable et se dispersa vers le sol. Il avait agi comme un sale gosse, comme un terrien. Tout, tout de suite. Désolé, il se mit à pleurer. Une larme plus grosse que les autres fila vers le sol et se faufila sur les branches des étoiles disposées là. Elle disparut. Subitement, une lueur éclaira le tas. Vite, il enfouit sa main et sortit une étoile plus grande. La prenant dans ses deux mains, il la caressa doucement. Il écarquilla les yeux de stupéfaction. Oui, il avait bien vu : une pointe semblait pousser. Oui, il avait bien vu. Elle était plus grande et très brillante. Couleur de lumière.
– Bonjour.
– Bonjour belle étoile, comment t’appelles-tu ?
– Je suis l’Étoile du Chemin Brillant.
– Tu vas me guider vers ta Reine ?
– Personne ne te guidera si tu as des comportements comme celui que tu viens d’avoir….
– Je me suis excusé…
– Cela ne suffit pas.
– Je te promets, jamais je ne recommencerai. Mais comment faire pour vous retrouver, vous, les grandes étoiles, parmi les autres, vous êtes si nombreuses !
– Mais tu le sais déjà, pourquoi me demandes-tu cela ? Demande quelque chose qui soit utile à ton monde, plutôt.
– Faut-il jeter les étoiles en l’air pour aller plus vite ?
– Tu es vraiment sûr de tes questions ? Je les trouve idiotes. Écoute ton cœur d’abord. Pourquoi es-tu venu ici ?
– Pour sauver la Terre des Hommes. Ils font n’importe quoi. Les étoiles s’enfuient.
– Écoute-moi :
Un homme vaut tous les hommes.
Une cellule d’un homme vaut l’univers.
Et l’univers c’est l’homme.
Et toi, n’es-tu pas en train de devenir un homme ?
– Tu m’ennuies avec tes remarques, je suis un Prince, tu entends ? Réponds-moi plutôt : où vais-je trouver la prochaine étoile ?
– Je t’ai déjà répondu, et puis c’est la seule réponse que j’ai. Adieu.
L’Étoile du Chemin Brillant se répandit comme une traînée de poudre, chaque grain se transforma en grains plus gros et lumineux, indiquant une direction.
Le Petit d’Homme qui grandissait sans le voir, suivit les points lumineux en remerciant dans son cœur l’étoile qui venait ainsi de piloter son chemin. L’étoile le remercia à son tour : chaque grain lança de nouveaux grains. Un vrai tapis se forma et l’entraîna plus vite. De plus en plus vite. Il glissa un peu brutalement dans un tas d’étoiles qui le recouvrirent à moitié. Il en ressortit avec une grande étoile accrochée à sa poche gauche. Elle brillait tant que son regard fut attiré, il ne pouvait pas ne pas voir ses grains d’argent scintiller sur leur fond gris. C’était tellement séduisant qu’il ne pensa pas à la retourner. Il la décrocha avec précaution, s’assit au sol sur les autres étoiles, la posa sur sa jambe et la caressa délicatement. Une pointe plus grande s’illumina.
– Bonjour, Prince.
– Bonjour étoile, tu m’as reconnu ! Comment te nommes-tu ?
– Je suis l’Étoile du Pôle Gauche.
– Tiens, je croyais que c’était Nord ou Sud ?
– Ça dépend d’où l’on regarde ! s’exclama-elle dans un éclat de rire lumineux. Et puis, tout est toujours en mouvement, même si cela ne se voit pas. Mais ça, vous les humains, vous avez du mal à le percevoir, vous ne semblez comprendre que ce que vous dirigez ou ce que vous avez décrété !
– Tu veux dire qu’il n’y a pas de sens ?
– Regarde bien autour de toi :
Il n’y a que le Sens Profond, celui de toute chose.
– Tu ne veux pas retourner au Pôle Gauche ?
– Si les hommes retrouvent le Sens, oui, sinon c’est inutile, souviens-toi toute ta vie de cela :
La vision du monde est propre à chacun.
Chacun de vous est unique.
Il fait partie du Tout.
Mais il est Le Tout.
….Ils doivent déjà comprendre ça.
– Mais les autres Pôles existent bien ?
– C’est seulement un concept humain. Tu pourras sûrement demander cela au Pôle Droit, si tu le rencontres. Adieu.
L’étoile eut un soubresaut, comme épuisée par le secret délivré, elle s’éteignit. Il ne vit plus que quelques grains de sable bleu sur sa botte gauche. Il n’osa même pas les brosser, il ne fallait pas risquer de la fâcher. Que faire ? Dans quel sens aller, puisqu’il n’y avait pas de sens ! Il se sentait floué. Comment les hommes pouvaient s’y retrouver ? Tout devenait énigmatique. Cela pouvait expliquer qu’ils aient pris les sentiers les plus pragmatiques. Au risque de faire une bêtise, il prit l’un des grains de sable posés sur sa botte et le jeta en l’air. Le vent le détourna, il retomba sur une étoile assombrie qui se raviva sous le choc. Elle était irisée, avec toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
– Mais qui a fait cela ?, s’écria-t-elle d’une voie pointue.
– Moi. Mais je ne voulais pas vous déranger, je vous prie de m’excuser. Je ne recommencerai plus. Je suis le Prince Bleu et vous ?
– Bleu ? Bleu, as-tu dit ? Mais…tu n’es pas bleu ! Tu es rose…
– Rose ! Vous m’avez bien regardé ? Je vois, vous n’avez pas les yeux en face des trous, vous !
– Je n’ai pas de trous ! Ce sont les étoiles malades qui en ont.
– Ah oui ? Je n’en ai jamais vu.
– Tu n’as encore rien vu, je crois…
– N’exagérez pas ! Qu’est-ce que vous en savez ? Vous dormiez, il me semble…
– Il t’a semblé…mais en fait, je t’entendais penser. Et si tu crois que tu peux devenir le Prince de la planète bleue tu t’es fourré le doigt dans l’œil, c’est bien comme ça que l’on dit chez toi ? Retourne donc d’où tu viens et tâche de tenir, ou plutôt de récupérer, ton rang !
– Facile comme raisonnement ! J’ai besoin des étoiles…
– Ah oui ? Quand même ?
– J’apprends ce que vous voulez bien me dire mais surtout, je commence à vous connaître…
– Ah oui ? Vraiment ? Mais tu ne me connais pas…
– Justement, je voulais savoir votre nom.
– Je suis l’Étoile Lucky, j’apporte la chance.
– Ah ! Tant mieux, j’en ai bien besoin !
– Non, il ne s’agit pas de toi !
– De qui alors ?
– Des hommes de la planète Terre.
– C’est vrai : ils ont bien besoin de vous !
– Non, plus maintenant !
– Pourquoi ?
– Parce qu’ils grattent !
– Ils…quoi ?
– Ils grattent !
– Ils grattent quoi ?
– Des tickets ! Les fameuses loteries !
– Comment le savez-vous ?
– Ça s’entend jusqu’au ciel et ça me casse les oreilles. Tu comprends, ça s’amplifie dans l’azur. De scritch scratch scritch scratch, ça finit par faire des crépitements de mitraillettes ! Je ne supporte plus. Je suis partie, je ne sers plus à rien : ils ont perdu le sens de la chance.
– Mais alors, la chance, c’est quoi ?
– La chance c’est une impulsion, une molécule de mon énergie qui décoince une situation ou apporte un moment de bonheur.
– Mais vous ne pensez pas que le bonheur c’est une blague ?
– Tu en parleras à l’Étoile du Bonheur : elle va te remonter les bretelles !
– Où est-elle ?
– Tu la rencontreras peut-être, alors arrête de mal parler de ce que tu ne connais pas.
– Bon, vous allez me la présenter alors ?
– Pas maintenant, vu ce que tu viens de dire, tu n’es pas prêt.
– Il faut que tu comprennes une chose :
Les choses viennent seulement lorsque l’on est prêt à les vivre.
…Pour avoir du bonheur, c’est ce qu’il y a de plus simple au monde, il faut juste savoir le reconnaître lorsqu’il passe.
– Il passera à quelle heure ?
– Ce n’est pas un autobus ! fit-elle en riant. Je voulais dire qu’il faut le vivre à chaque instant. Le bonheur, l’homme l’a en lui.
Puis subitement rêveuse au souvenir de quelque chose qui semblait lui manquer, elle poursuivit :
– C’est une étincelle dans un regard, un parfum qui ranime une émotion très ancienne, mais beaucoup d’autres choses aussi, il y en a tellement ! Il faut être attentif pour pouvoir en profiter pleinement. C’est un moment furtif qui devient inoubliable car il a déclenché une émotion partagée. Nous, nous ne donnons que les impulsions.
– Vous voulez me dire que si je regarde la mer je ne puis être heureux car il n’y a que moi, ici ?
– Bien au contraire c’est un moment que tu partages avec le ciel, la mer, la terre…Un vrai bonheur ! C’est une fusion avec Mère nature, un bain d’essentiel.
– Donc il faut être deux pour que la chance marche, car vous ne pouvez apporter le bonheur toute seule ?
– Il faut même être trois !
Il écarquilla les yeux surpris par cette notion inhabituelle.
– Mais qui d’autre ?
– Celui qui reçoit mon impulsion. Vois-tu, je fais partie des Étoiles-Étincelles, celles qui donnent l’élan nécessaire aux réalisations. Mais si l’on ne fait pas d’effort, ça ne marche pas. Dans le bas monde, rien de bien ne peut se faire seul. D’ailleurs vous dites bien aide-toi et le ciel t’aidera ?
– Vous voulez dire que je ne fais pas d’effort ! Mais bon sang ! J’ai déjà fait l’effort de venir ici !
– Tu es certain de ne pas avoir été propulsé à ton propre insu ?
L’enfant baissa la tête. Il était inutile d’essayer de la tromper. C’était énervant.
– Alors, continua-t-elle, j’ai raison, ici tu attends, on ne sait quoi, le sais-tu toi-même ?
– Que faire d’autre ? J’attends qu’on me le dise !
– C’était bien ça !
– Je n’attends pas réellement, je consulte les étoiles que je rencontre.
– Et qu’en as-tu retiré ?
– Que je n’ai aucune solution concrète pour remédier aux désordres de ma planète, rien pour rassurer les hommes et leur redonner confiance, rien pour les remotiver ni pour les soigner !
– La solution serait concrète selon toi ? Tu ne serais pas en train de te tromper ? Le concret n’est-il pas une résultante seulement ? Une forme d’expression d’autre chose ?
– Vous voulez dire que le cœur, le sens, les rêves, l’intuition suffiraient à résoudre les problèmes ? Vous ne seriez pas une utopiste par hasard ?
– Mais voyons ! Dans quel autre mot prennent-ils place à côté de bien d’autres d’ailleurs…C’est le rébus de l’homme, son propre puzzle qu’il doit retrouver, assembler…
– Je ne vois pas …
– CONSCIENCE, voyons !
– Mais qui n’a pas conscience …
– Non ! LA CONSCIENCE ! L’homme en a fait « Con-Science », mais visiblement ça ne lui réussit guère !
– Que doit-il faire alors ?
– Ce que je vais te dire est essentiel :
Il doit retrouver sa propre conscience, celle de la terre, celle de l’Univers, celle qui lui a donné naissance.
Il restait dubitatif, planté là, les jambes écartées, les poings sur les hanches, il la regardait attentivement.
– Mais comment voulez-vous qu’il fasse, s’il n’en a plus conscience justement ?
– Arrête de finasser. Cela peut se faire dans un éclair, un rien de temps, mais un tout, justement. Il faut que tu y réfléchisses. Je t’assure que cela t’éclairera.
– Vous, les étoiles ne savez dire que cela : Réfléchis ! Merci, je vais essayer, mais cela ne semble pas simple.
L’étoile fusa subitement et disparut complètement. Pas un grain. Rien. Éberlué, il se dit que cette étoile de la chance devait manipuler la magie, ou peut-être savait-elle se fondre dans la Conscience, justement.
Il se retourna d’un côté puis d’un autre : tous les tas d’étoiles avaient l’air de se ressembler. Que faire ? Y aller au hasard ? La première étoile avait dit « l’intuition », pas le hasard. « Écoute ton cœur » avait dit l’Étoile du Chemin Brillant. Oui, mais comment ? L’Étoile du Pôle gauche suggérait de retrouver le Sens. Il se sentait bien déconcerté, énervé, cela ne l’emmenait pas plus loin ! La soif commençait à le tenailler, mais voilà, fallait-il boire cette eau si belle ? Il approcha du rocher supportant une cascade d’algues en éventail qui plongeait dans la mare. En tendant la main, il se dit que boire le jus de l’algue serait peut-être une solution. Au moment où il la soulevait pour choisir une extrémité, il aperçut une étoile dissimulée sous le rocher. Elle s’enfonçait dans le sable. L’attrapant délicatement, il la sortit hors de l’eau. Elle s’étira dans un bruissement de plaisir. Elle était couleur de l’aube, une couleur incroyable.
– Ouf ! Eh bien, ça va mieux ! Bonjour mon ami, de quel rêve es-tu ?
– De quel rêve ? Mais ce n’est pas un rêve, c’est un cauchemar ! Ici vous êtes toutes en train de mourir ! Réveille-toi étoile !
– Mais tu n’es guère poli ! Tu ne t’es pas présenté, tu ne m’as pas dit bonjour…Où te crois-tu, mon garçon ? Alors on recommence : bonjour mon ami, de quel rêve es-tu ?
Décidément ces étoiles étaient bien bizarres, celle-ci était entre l’éducatrice et l’hystérique, mais il ne fallait surtout pas la vexer. Pourtant, il venait de la sauver de la noyade : c’est elle qui aurait dû remercier !
– Bonjour étoile, je suis un Prince-enfant venu de la Terre, et toi, comment t’appelles-tu ?
– Je suis l’Étoile du matin, je me cachais car je n’arrive plus à illuminer la nuit de mon étincelle pour donner le signal au soleil. J’ai honte !
– Ainsi serais-tu, toi aussi, une Étoile-Étincelle ?
– Oui, c’est ça, mais cela ne sert plus à rien ! J’ai honte !
– Arrête de répéter cela, ce n’est pas de ta faute, elles disent toutes que c’est l’Homme qui a terni le soleil.
– Oh ! Il est impossible à ternir voyons ! Elles se sont moquées de toi. Non, cela voulait simplement dire que l’Homme a gâché son espace de vie. Il peut juste exploser, se dissoudre et disparaître !
Elle eut un petit rire moqueur.
– Mais c’est horrible ce que tu dis là ! Tu me fais peur…
– Je vais te dire : l’homme a endommagé son propre système. Il a tellement pollué que notre rôle n’a plus de sens, alors le soleil est obscurci par ses propres miasmes ! Quant à nous, nous nous éteignons. Pourquoi l’éclairer la nuit ? Il ne le mérite pas. Ni le jour d’ailleurs…
– Tu es bien sévère !
– L’Homme est un irresponsable. Il est allé sur la Lune, il va sur Mars, il tente de gagner les confins de l’univers, mais il néglige la Terre. Pourtant elle seule est aujourd’hui capable de subvenir à ses besoins. Il ne pourra bientôt plus rien faire de la Terre. Il « est » la terre. Mais il a oublié….
– Alors il s’en ira…
– Ah oui ? Où ça ?
– Eh bien des étoiles, des planètes, il y en a tant ! Il y en aura bien une…
– Il faudra déjà qu’il soit capable de nous rallumer !
– C’est pour cela que je suis ici. Je veux voir ta Reine, ton Rêve-Roi, je veux que vous arrêtiez de vous éteindre. Ils doivent reprendre le chemin du ciel.
– Si tu crois que tu vas leur donner des ordres, tu te trompes !
– Ah, donc tu les connais ?
– Oui, je suis celle qui veille sur ma Reine quand elle dort.
– Alors, où dort-elle ? Quand pourrai-je lui parler ?
– Pas si vite. Ce n’est pas si simple. D’abord je t’ai posé une question et tu ne m’as pas répondu.
– Quelle question ?
– Eh bien cherche ! Que tu es tête en l’air !
Elle se laissa glisser dans l’eau…
– Eh, attends, reviens, tu vas te noyer !
Elle sortit de l’onde bleue une branche presque transparente et rit de son petit rire cristallin.
– Mais je suis une étoile qui sait créer l’eau voyons, je ne peux pas me noyer ! Comment voudrais-tu que je fasse la toilette de ma Reine sinon ?
– Tu devrais revenir sur Terre avec moi, l’eau commence à manquer. La situation est grave.
– Je n’ai pas besoin d’y aller pour cela. Mais Ils ne savent pas s’en servir, ils la salissent tout de suite ! Ils n’ont rien compris des bienfaits de la nature. Dis, je t’ai posé une question…
– Je ne me souviens plus…
– Alors réfléchis et reviens, je serai encore là quelques minutes.
– Tu ne vas pas t’éteindre ?
– Décidément tu ne comprends rien de ce que l’on te dit ! Tu es bien un Homme en devenir….Allez, à plus tard !
Elle se renfonça dans l’eau. Il plongea la main vivement.
– Non ! Tu ne pars pas sans m’avoir dit si je peux boire de l’eau, je meurs de soif ! Ou alors, tu en fabriques pour moi….
– Bois celle de la flaque, c’est justement moi qui l’ai faite. Tu ne risques rien.
Elle sourit malicieusement. Il la remercia et s’agenouilla au bord de la flaque pour en prendre dans ses mains. Il but jusqu’à ce qu’il se sente mieux. Il se sentait de mieux en mieux, tellement mieux qu’il avait l’impression de partir. Il piqua du nez dans la flaque et plongea sans s’en apercevoir dans le rêve de l’Étoile du Matin.
– Où es-tu ? Je ne te vois plus ! Au secours ! Je suis tout seul, il fait noir…J’ai mal au cœur, ça va trop vite…
– Ne sois pas si bête, tu es avec moi, mais tu ne me vois plus, je t’ai plongé dans mes rêves…Enfin, plutôt dans mon pire cauchemar !
– Je ne veux pas ! Sors-moi de là !
– Impossible, tant que je ne t’aurai pas montré ce que sont devenus les hommes !
– Mais je le sais, c’est pour cela que je suis venu. Libère-moi, c’est un ordre !
– Ici, même les Princes ne peuvent plus donner d’ordres…
– Je te dis que je sais.
– Oh non ! Depuis que tu es parti cela a empiré ! La situation est catastrophique, pourquoi crois-tu que nous fuyons alors ?
– Justement, je ne veux plus voir. Je veux juste trouver une solution.
– L’intention est bonne mais ce n’est qu’une intention ! Tu n’es pas assez pressé…Pourtant tes congénères, eux, ont accéléré leur temps, ils ont emprunté la spirale infernale, celle qui ne permet plus de réfléchir, d’être à l’écoute, d’observer. Ils se sont placés eux-mêmes dans un cercle vicieux. Ils vont si vite qu’ils n’ont même plus le temps de savoir où ils vont, c’est incroyable, n’est-ce pas ? En déréglant leur temps ils ont aussi déréglé le Temps du Climat. Que veux-tu ! Ils sont tellement égocentriques qu’ils ont oublié que dans le monde tout est résonance. Tout marche ensemble. On ne peut rien séparer. Mais l’homme voulant tout maîtriser sépare tout, sectorise tout. Pour son plus grand malheur. Chacun travaille à acquérir plus de pouvoir, plus de notoriété…Chacun de son côté…
Suite...Prochain chapitre, samedi prochain...
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