C’est à
grands pas saccadés, encore sous le coup de cette conversation, qu’il franchit
l’immense porte du Palais. Il entra dans une grande salle à l’ambiance étrange,
douce comme un brouillard, où seul brillait comme un nautile nacré, un canapé
aux formes du coquillage. Il se sentait à l’aise dans cet espace curieux. Il y
avait là un pouvoir rassurant, quelque chose de tranquille et de profond. Mais
où se cachait-elle encore ? Il s’assit et ferma les yeux. Nynka, je suis là, pensa-t-il. Une main
se posa sur ses cheveux.
– Alors,
fit-elle doucement, le plus grand de mes fils aurait-il un problème ?
– Mère,
tu as forcément entendu ! Tu sais bien, je voudrais ce pouvoir dont parle
mon père. Si je veux éliminer le Maître des Abîmes, il me le faut.
Les yeux plissés malgré elle par un sourire intérieur, elle fit non de la tête.
– Voyons Enki, toi, si avisé, si profond, comment ne comprends-tu pas de
quoi il s’agit ? Si tu ne le devines pas c’est…
– Que
je ne l’ai pas vécu ! Oui, il me l’a dit ! fit-il en haussant le ton,
car sa colère remontait. Justement, Mère, je viens te voir pour que tu y
remédies.
– Oh, mais l’occasion s’est déjà présentée et tu ne l’as pas saisie…
–
Quoi ? Et tu dis…
– Oui. Je dis que tu n’en as rien fait. Rien de bien en tout cas. C’était très étonnant
de ta part.
Enki réfléchit. Il ne voyait vraiment pas en quoi il avait failli. Subitement, il
se leva, vraiment mécontent. Il dominait Nynka d’au moins trois têtes. Mais
elle ne se laissa pas démonter.
– Tu
sais dans la vie les occasions reviennent plusieurs fois. Si l’on décide de ne
pas progresser et de ne pas prendre le risque qui se présente, on continue de
tourner en rond. Méfie-toi, à force de tourner, un jour, c’est l’accident.
Il examinait
sa mère. Oui, elle était petite, mais elle avait une autorité empreinte d’une
si grande douceur qu’il en était toujours aussi impressionné. Elle n’avait
aucune violence en elle. Et puis, il s’était toujours demandé pourquoi elle
avait ces dreadlocks d’argent !
– Mais
si j’ai bien compris, fit-il l’air finaud en prenant le visage de sa mère
doucement entre ses mains comme il l’aurait fait d’une fiancée, c’est toi qui
va décider des opportunités ?
– En
réalité, c’est toi. Moi, je ne fais que faciliter les choses.
Il observait
la blancheur de ses grandes mains trancher sur le noir de sa peau. Il plongea
son regard dans les yeux de velours. En vain. Elle avait un vrai tempérament.
Une maîtresse femme. Du coup, cela lui avait toujours posé problème dans ses
relations féminines. Les autres, il les trouvait fades. Parcourant l’univers et
toutes les galaxies, errant dans différents mondes, il n’avait pas trouvé
l’équivalent. Elle se mit à sourire percevant cette réflexion. Et puis, il
faisait déjà ce geste lorsqu’il était adolescent et qu’il avait enfin atteint
sa taille. C’était très affectueux.
Sa mère ne lui révélerait rien, c’était clair. Il devrait deviner tout seul. Elle
avait dit vrai. Sa seule responsabilité était engagée. Mais de quoi pouvait-il
s’agir ? Il lui faudrait comprendre instantanément lorsque l’occasion se
présenterait enfin.
–
Promets-moi, que tu vas m’aider…
Elle dévisagea
ce fils si fier qui jamais ne demandait rien.
– Si je
le peux, je le ferai, sois en certain.
– Tu es une grande magicienne !
– Il n’y
a aucune magie là-dedans, seulement la vraie nature de l’homme.
Il nota l’importance de cette remarque sans toutefois la comprendre. De quelle
nature parlait-elle ? Puis il revint à son projet.
– Alors, en attendant, nous allons tenter d’anéantir le Réseau de cette immonde
entité.
– Nous ? Tu veux dire tes frères et toi ? Mais voyons, ce n’est
pas si simple ! Ton père t’a bien expliqué…
– Nous
avons un plan. Mais peut-être pourras-tu nous aider ?
–
Volontiers, si c’est en mon pouvoir.
– J’ai prévu de mettre Neky en état de dissociation.
– Comment ? Mais enfin, tu n’y penses pas ! Il a accepté ?
Son fils
fit oui de la tête.
–
Vous avez perdu la tête ! Ton frère est le Maître de La Conscience
– Nous sommes tombés d’accord. Il faut rétablir une situation stable sur
Terre si nous voulons empêcher le pire. En fait, nous avons déjà créé ce réseau
parallèle qui est susceptible de détruire celui que nous connaissons. Mais nous
avons remarqué : pour un qui fait du mal il en faut dix qui font du bien pour
stopper son expansion et c’est ce phénomène qu’il faut inverser. Nous n’y
sommes pas encore.
– Tu
vois : il vous manque bien quelque chose…
– Ce que je te demande…
– C’est impossible, je viens de te le dire.
– Je te
sais toute puissante…
– Non, comme je te l’ai dit cela dépend de toi, ou du moins de l’un d’entre
vous.
– Puisque c’est comme cela, tu l’auras voulu : la part incarnée de Neky
prendra le pouvoir là où je l’enverrai et je l’aiderai à éliminer notre ennemi.
– Qu’est-ce qui vous prend ? Quelle imprudence ! Comment pouvez-vous
imaginer semblable stratagème ? C’est pure folie…Vous allez rompre un
équilibre que nous avons eu du mal à mettre en place !
– Mais quel
équilibre ?
– Celui
qui empêche le Maître des Abîmes d’occuper une incarnation totale, il ne peut
que prendre des parties d’âme, et nous avons utilisé cela pour en faire des phases
d’initiations, celles que tu diriges, justement ; mais tu ne peux tout comprendre !
Pourtant, ton plus grand pouvoir est dans ce détournement…
Il
n’écoutait plus.
– N’as-tu
pas dit, Mère, que tu nous aiderais si tu le pouvais ? Et père n’a-t-il pas constamment
tous ses pouvoirs ? Il veillera sur La Conscience
Elle
opina de la tête. Elle ne pouvait dire le contraire. Et puis, elle avait bien
dit cela. C’était curieux, il avait su
si bien dissimuler son plan qu’elle
avait donné dans le panneau… Enki avait donc beaucoup plus de pouvoirs qu’elle
ne se l’imaginait. Alors il fallait les aider. Elle n’avait pas d’autre choix.
Cela lui fit bizarre de se faire manipuler par son fils. Elle durcit son
regard.
– Je
ne fais rien sans ton père et tu le sais. J’essaierai de le convaincre, mais je
vous trouve insensés, oui, insensés ! fit-elle en haussant légèrement le
ton.
Un
sourire de vainqueur qui ne veut pas le montrer, éclaira néanmoins le visage
d’Enki. Quelle joie d’être arrivé à lui cacher ses pensées ! Elle, La Reine de l'Univers,
Elle le dévisageait.
Ah !
C’était ainsi ? Qu’est-ce qu’il croyait ? Désormais, il pourrait
toujours essayer de dissimuler, il n’y parviendrait pas, foi de Nynka !
Il
l’embrassa tendrement et partit à grandes enjambées qui cachaient mal sa joie.
Des
deux, il était enfin le plus fort.
- ☺-
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