Neky
regardait par la fenêtre du Palais. Sa chambre donnait sur le jardin où des
flaques de neige luisaient à la faveur des étoiles. Il était très tard, toutes
les lumières s’éteignaient peu à peu. Les oiseaux eux-mêmes dormaient depuis
longtemps. Il devait maintenant en parler à Enki. Maintenant qu’elle était
devenue sa maîtresse… Mais ce qu’il voulait c’était l’épouser. Jamais il ne
pourrait s’en séparer, jamais il ne pourrait vivre sans son intelligence, son
incroyable présence, son regard magique, ce rire cristallin qui le surprenait
tant, ses dents de perles, ses lèvres qu’il sentait sur les siennes dès qu’il y
pensait, sa douceur, le parfum et le grain de sa peau, et ses mains, oh, ses
mains...., il avait vécu l’ivresse de l’amour, il y avait eu une nuit de folie,
il se sentait ensorcelé, lui, le Maître de La Conscience... Il y avait
- ☺-
– Tu
voulais me voir ?
– Merci
d’être aussi attentif.
– Bon,
écoute, il s’est passé quelque chose d’essentiel pour moi. Tellement essentiel…
– Que
tu en oublierais tes objectifs ? Enki leva un sourcil. Non… Ne me dis pas
cela !
– Non,
pas exactement… Mais il faut que je fasse tout en même temps.
–
Serais-tu tombé amoureux ? De qui ? Comment se fait-il que je ne le sache
pas ? Reste froid…euh…je veux dire : conscient !
Froid… Froid ?
Neky se dit qu’il avait de la chance, son frère n’était pas sur ses basques
sans arrêt. D’ailleurs, il avait raison quelque part, c’était bizarre, il
aurait dû le savoir !
Enki le
regardait, inquiet.
– Allez,
ça suffit ! Crache le morceau ! Ça devient insupportable !
Ah, le
Maître des Âmes n’aime pas avoir une ouaille qu’il ne maîtrise pas ? Neky
sourit devant cette étrange évidence : il n’avait rien vu, rien perçu...
Pourquoi ?
Alors il
raconta… Puis vint le moment le plus perturbant pour son aîné :
–
Lorsqu’elle m’a dit qu’elle voulait me présenter sa famille, j’ai évidemment
accepté, et la limousine est allée les chercher. Mais il n’est descendu – tiens
toi bien - qu’elle et sa sœur : des jumelles ! Je suis resté
stupéfait… Elles sont magnifiques et intelligentes, mais il est vrai que je
préfère Anka à Orka, en fait elle s’appelle « Orkaline » et elles
sont bien russes mais de très ancienne souche et leur famille est en France
depuis le début du XX° siècle, tu sais, dommage que tu ne sois pas terrien,
fit-il avec un grand sourire moqueur.
Le
visage d’Enki avait semblé se concentrer puis s’allonger. Il avait pâli, ce qui
était inhabituel chez lui.
« Qu’est-ce
que c’était que cette mascarade, se disait-il. Ils avaient contrôlé toutes les
rencontres qu’il devait faire ! Il devait y avoir un piège. Ça
puait ! Il y aurait des êtres qui n’étaient pas dans les livres de
vie ? »
–
Ecoute, dit-il, il faut que je voie cela avec Erkym. Mais dis-moi au moins,
qu’as-tu fait ?
– Nous
allons nous marier,
–
Quoi ? Ta mission tu en fais quoi ?
Neki fit
la sourde oreille. Il poursuivit :
– Mais
je veux aussi que ce mariage soit valide dans l’univers et ses espaces-temps,
tu comprends ?
–
Serais-tu devenu fou ?
– Pas le
moins du monde. Mais totalement et irrémédiablement décidé. Débrouille-toi,
donne-moi la réponse. Je le veux, tu entends, je le veux !
– Tu
vas contrarier ta mission ! C’est n’importe quoi… Si j’avais pu savoir… Comment
peux-tu te comporter ainsi, toi ?
– C’est
certainement là que tu as un problème toi qui connaît toutes les âmes…
– Erkym
et moi, nous allons enquêter.
Il
disparut.
- ☺-
Enki marchait d’un pas rapide, la tête enfoncée dans les épaules, comme quelqu’un de préoccupé, son aiglonne Akila cramponnée sur son épaulière de cuir, la tête collée à ses cheveux, semblait l’écouter. Erkym le vit arriver et comprit instantanément qu’il y avait un ennui de premier ordre.
– Que se
passe-t-il ? s’écria Erkym.
Enki
parut sortir de sa concentration. L’aigle secoua ses plumes.
– Neky
s’est emmouraché d’une fille ! Et tiens-toi bien : il est devenu
odieux !
– C’est
normal, sur Terre ! Réfléchis… Les tentations… C’est parce que c’est notre
frère ? Ou c’est parce que tu as peur qu’il soit distrait de sa mission et
qu’il échoue ?
– Oui et
non, il est raide dingue ! Même plus que ça : ensorcelé ! Erkym
fronça ses épais sourcils. Le plus curieux, continua Enki, c’est que je ne la
connais pas…
– C’est
impossible, remarqua froidement le noir aux yeux d’argent sombre.
– Je te
jure que c’est vrai. Mais le pire c’est qu’elle a une jumelle !
– Deux
inconnues ? Ça ne fait pas un peu beaucoup pour un seul Maître des
Âmes ?
– On dirait
un piège…
– Alors,
allons à la bibliothèque des Souvenirs, on va obligatoirement les retrouver,
fit il avec un calme persuasif.
Ils
poursuivirent leur conversation en chemin, survolés par l'aiglonne.
– Mais
qu’est-ce que ça te fait qu’il ait une maîtresse ? demanda Erkym, c’est
tellement normal… Il faut bien que ça revienne et pour nous aussi, ce n’est pas
la première, non ?
– Tu
n’as rien compris, fit Enki en colère de se sentir accusé d’autant de
mesquinerie, il veut l’épouser et que son mariage soit valide dans les espaces-temps
de l’Univers, en somme qu’elle devienne sa Reine !
Son
frère stoppa net, les yeux écarquillés.
–
Non ? Tu es bien certain. Une Terrienne ? Une âme en devenir ?
Une non-initiée ? Il est complètement fou !
– Absolument.
– Donc il a perdu le sens de sa mission… Comment
pourrait-il mener de front la lutte contre Lucifer ? Il va plutôt s’occuper d’elle… ?
–
Ah ! Enfin, tu comprends ! Pas trop tôt, ajouta-t-il, bougon, en
donnant un coup de pied dans un caillou.
Ils
étaient arrivés devant l’immense bâtiment éclatant de blancheur. Un instant
plus tard devant un écran de quartz bordé d’opaline, ils prononcèrent les deux
prénoms : « Ankaline et Orkaline ».
Rien ne
bougea. Ils se regardèrent stupéfaits.
– Ce
sont peut-être des étoiles majeures… Mais comment ne les connaîtrions nous
pas ? demanda Enki, c’est impossible…
– Regardons,
fit Erkym qui s’accrochait à cette certitude.
L’écran
resta encore muet. Ils se regardèrent, subitement, extrêmement inquiets.
– Ça ne
me dit rien qui vaille, quelque part je m’en doutais. Il y a un piège, remarqua
Enki.
– Si
elles avaient été des étoiles majeures, j’aurais pensé que c’était un coup de
Nynka. Un juste retour des choses : elle n’était pas vraiment favorable à
notre projet. Elle a été contrainte de s’en accommoder.
– Mais
là, c’est quoi ? Forcément des créatures de Lucifer ? Aurait-il
réussi à en créer de complètes ? Nous ne pouvons aucunement le savoir. Dans
ce cas, c’est très grave et très urgent, nous devons en tester une des deux au
moins, Orkaline, comme ça, il ne nous en voudra pas…
– Tu
veux qu’on l’enlève ?
– Je ne
sais pas comment nous allons nous y prendre, il va falloir soit la plonger dans
le coma, et regarder sur place, soit la tuer et la ramener ici. Il faut qu’on
réfléchisse à tous les scénarios possibles. Mais si c’était bien ça, et que
nous ne trompions pas, il faudra vraiment les tuer toutes les deux, plus que ça
d’ailleurs…les anéantir cellules par cellules...
Erkym se
sentit très mal. Son frère était vraiment en danger. C’était le scénario
tellement improbable qu’ils n’y avaient absolument pas pensé.
– On en
parle à notre mère ?
– Ah,
non ! Cela va lui donner raison…On en parlera après quand on aura réglé le
problème et qu’on le ramènera.
– Et
à lui ? Qu’est-ce qu’on lui dit ?
–
Surtout plus rien… Je vais surveiller sans prendre contact. Ce sera plus
simple.
- ☺-
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