L'IMPOSSIBLE SITUATION

Grattant de l’ongle une dentelle de glace qui enduisait la vitre intérieure par ce matin tardif des soi-disant Saintes Glaces, il réfléchissait dans l’encoignure de la fenêtre de gauche de son bureau lambrissé, dissimulé par la lourde tenture bleue.

Ce devait être une mission d’une extrême difficulté ? Eh bien, c’était le contraire. Il baignait dans une vraie félicité. Même là haut, il n’avait jamais connu cela… C’était invraisemblable : ça l’amusait... Tout semblait lui réussir. Il revit le chemin parcouru. La prise de pouvoir avait été assez simple, somme toute. C’était comme un besoin, comme s'il s'agissait d'une intervention de la providence. Remonter ce pays et l’Europe lui semblait assez facile aussi, pas étonnant quand on commande La Conscience... Et puis il y avait cet amour imprévu, celui qui est l’évidence même. Jamais en quatre mois il n’y avait eu une faille, sauf, presque imperceptible, la jalousie de la jumelle. Normal, au fond. Il la gâterait et tâcherai de ne pas trop l’écarter. L’idéal serait qu’elle épouse un de ces frères… Lequel ? Enki ou Ankus pourraient convenir. C’était une bonne idée. Il ne les avait pas revus depuis un moment. Ils devaient le protéger. Il parlerait de cette idée à Nynka en rentrant quand les modalités d’initiations d’Anka seraient fixées, mais pourquoi traînait-il, cet idiot d’Enki ? Lui, il était pressé. Très vite, il n’aurait plus besoin de rester là !  Il voulait un enfant et sa promesse auprès de Nynka de ne pas en mettre en route ici bas, lui avait semblé être une gêne. Il arrêterait cette mission, ils trouveraient bien ensemble, ses frères et lui, comment faire autrement. D’un seul coup, la Terre lui semblait moins essentielle, moins que son amour pour Anka. Il trouverait un successeur et ils rentreraient sur Esperanza. Il y avait ce Dom Noiro qu’il avait rencontré, cet homme un peu étrange, grand et costaud, aux maxillaires très forts et aux yeux verts cachés par une barre de sourcils noirs bien fournis. Il portait bien son nom. Il avait une approche très fine de la stratégie et de la tactique, ce qui lui avait permis d’en faire son Grand-Intendant. Il serait parfait en successeur. Curieusement, il anticipait tous les coups que l’on essayait de porter au régime ou à lui-même, et luxe suprême, il avait aussi toujours un coup d’avance. Cela en avait dissuadé plus d’un. Il s’y entendait pour démanteler le fameux réseau, ils en avaient longuement parlé et il avait commencé. Visiblement il savait beaucoup plus de choses qu’il n’en avouait. C’était aussi un entraîneur d’hommes, il était surprenant. C’était inespéré. Cependant, plus d’une fois, en le voyant, il avait eu un flash… Oui, il le connaissait. Mais qui était-ce ? Impossible de savoir. Il avait essayé de le cuisiner un peu. En vain. Anka semblait aussi beaucoup l’apprécier et Orka aussi…

Et par-dessus le marché, il y avait eu cette nuit exceptionnelle où il avait failli perdre conscience en faisant l’amour, tellement l’émotionnel avait été fortement sollicité. Il s’était presque senti faire un avec elle, enfin presque… Donc cela devait exister même sur Terre et a fortiori ailleurs. Il fallait que ça arrive : ce serait la consécration de cet amour. Nynka avait bien évoqué quelque chose comme ça, sans jamais être vraiment explicite. Ah, cette mère ! Elle ne pouvait s’empêcher de faire des métaphores, des paraphrases dans les détours desquels on se perdait… Et puis le comble du bonheur était arrivé. Pourtant, il s’était senti extrêmement inquiet lorsque sa douce lui avait annoncé qu’elle était enceinte de plus de deux mois… Diables de femmes ! Comment s’y prenaient-elles ? Comment avait-il pu ne pas contrôler cela ? Il venait de faillir à sa promesse. Comment Enki allait prendre la naissance de cet enfant aux ADN mitigés, comment en faire immédiatement un initié, et le petit-fils du Maître des Temps et de l’Univers. Car en posant sa main sur son ventre, il avait induit le sexe à l’insu de sa jeune femme, c’était sa façon de sauver leur enfant. Pourtant, Anka avait eu peur en comprenant qu’il ne sautait pas de joie à cette excellente nouvelle. Il lui avait fallu se rattraper, évoquant la dangerosité de la situation. Dom Noiro, mis immédiatement mis au courant avait écarquillé les yeux, ce qui n’était pas bon signe. Il avait fini par dire, au bout d’un étrange moment de silence, qu’il allait recruter des médecins hyper qualifiés, des scientifiques hors du commun, et une véritable unité de  surveillance rapprochée. Le monarque s’était enfin senti rassuré et il avait pu redonner confiance à son aimée en lui annonçant la date et les festivités du mariage.

 

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La nuit suivante, Dom Noiro, ou plutôt Orion, après s’être mis en méditation, soigneusement allongé sur son lit les paumes vers le ciel, était entré, dès l’assoupissement, en communication avec Nynka. Il lui raconta point par point, comment Neki était tombé éperdument amoureux d’Anka, et comment elle s’était retrouvée enceinte, sans selon lui, qu’il y ait eu une intervention maléfique. Heureusement.

Nynka était ennuyée devant ce père ravi, qui par chance, ne la voyait pas. Elle s’engagea à s’occuper de tout, mais lui spécifia que contrairement à son désir, Neki ne pourrait pas rentrer rapidement : dans son euphorie, il surestimait la situation. Dom Noiro était bien de cet avis, et en tant que Grand-Intendant, il se savait lui aussi coincé « en bas », mais son monarque ne voulait rien entendre… Et la situation n’était pas du tout ce qu’elle semblait être de prime abord. Il se berçait d’illusions, pris dans un amour très envahissant. Mais lui, D’Orion, avait eu un rêve prémonitoire d’une suite d’événements terribles. La vie du monarque et de son épouse serait en danger, et il devrait choisir qui sauver… Le Maître des Abîmes fourbissait ses armes. Il avait donc déjà pris ses dispositions pour parer à toute éventualité. Il saurait empêcher ces actes criminels.

Nynka hocha la tête, préoccupée. Ce qu’elle craignait pouvait arriver. Le risque était désormais immense.

 

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La même nuit, elle entra dans les rêves d’Anka. Elle la félicita de devenir sa belle-fille, puis lui dit qu’elle organiserait la naissance qui devrait avoir lieu en deux lieux à la fois, mais qu’en réalité elle ne s’en apercevrait pas vraiment. La naissance du corps subtil d’un Prince de l’Univers, car c’était un garçon, ne pouvait se faire sur Terre. La future Grand-Mère dit alors qu’elle allait doter cet enfant d’un talisman qui le protégerait.

La jeune femme souriait dans son sommeil.

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