Elle posa sa main sur un rocher plat qui s’ouvrit pour les laisser passer. Ils se retrouvèrent sous le dôme, au-dessus d’une plaine aménagée de jardins magnifiques. Au fond trônait un palais blanc qui se reflétait dans l’eau.
– Que
c’est beau…
– Voici
le domaine de tes parents.
– « Mes » ?
Tu veux dire que mon père est ici ?
– Bien
sûr. En aurais-tu douté ?
– J’avais
eu l’impression qu’il était ailleurs… C’est drôle… J’ai
dû me tromper.
Il
se sentit apaisé, juste une minute. Mais
une grande émotion montait, une grande inquiétude aussi. Ils
n’allaient pas le reconnaître. Il les avait quittés si petit.
Comme quelqu’un qui sort du coma après dix-neuf ans : le
monde a changé, sa famille s’est transformée, même son corps a
vieilli sans lui demander son avis. Et lui, n’allait-il pas
retrouver des « vieux » ? C’était certain. Que
dirait-il alors ? Dire « maman » à une femme âgée,
il ne le sentait pas. Pareil pour son père. Cette habitude, il
l’avait eue avec une femme-fée…pas une vieille ! Il
paniqua. Ehaloa
sentit son inquiétude. Elle le prit par la main.
– Tu
t’inquiètes ? N’aie crainte, ta mère, ma Reine, est une
femme extraordinaire. Et puis nous sommes au pays où nul ne
vieillit, mais tout peut se transmuter.
Ils passèrent par un jardin tropical aux plantes géantes dont les fleurs à la texture épaisse avaient un parfum qui enveloppait le passant dès qu’il s’approchait, au risque de l’étourdir. Des papillons géants très affairés à plonger leurs trompes dans le cœur des orchidées, allaient de plantes en fleurs. Ils traversaient maintenant une roseraie délicate dont les tiges s’enroulaient autour d’arceaux successifs. Au sol, un tapis de pétales roses, rouges, blancs et orangés amortissaient le bruit de leurs pas. Ehaloa lâcha sa main, ils arrivaient au bout du tunnel fleuri. Ils se retrouvèrent dans un endroit très intime délimité par de grandes haies emplies de petits nids de colibris. Assise sur un banc de marbre blanc, une grande femme blonde aux cheveux ondulés tombant sur les épaules, donnait à manger à une foule de minuscules oiseaux multicolores très affairés.
Swen s’arrêta net. Ses narines emplies du parfum des roses ne lui permettaient pas de percevoir ces effluves très fins, qui l’auraient affirmé dans sa certitude. Son cœur battait vite. De plus en plus vite. Il vit une nuée d’or se poser sur le banc autour d’elle. Mais cela ne parvint pas à le convaincre. Il aurait voulu qu’elle fasse un geste, qu’elle dise un mot. Si c’était ELLE… Oserait-il se précipiter dans ses bras ? Fallait-il observer l’étiquette et lui baiser la main ? Elle les avait longues et fines. Subitement, il remarqua les bagues, comme la Lune et le Soleil qui rutilaient sur ses doigts.
Oui, c’était ELLE. Enfin, ELLE.
Levant
les yeux, profitant de sa stupeur et de son hésitation, elle le
contempla de son regard clair. Elle l’avait quitté petit, et il
avait grandi presque d’un seul coup. À elle aussi, on lui avait
volé des années de cette vie qui aurait dû leur être commune. Il
était peut-être grand en taille, mais c’était toujours son
petit.
Se
levant, elle alla droit vers lui, d’un pas très souple et dansant.
Puis l’entourant de ses bras elle tendit son visage vers le sien.
Swen, mon petit.
Swen le grand, ému aux larmes, envahi et troublé par son parfum délicat, enfouit son visage dans le creux de son épaule, dans ses longs cheveux, son cou, puis il remonta doucement vers les joues et la couvrit de baisers. Il l’entoura de ses bras. Elle était plus petite que lui. Il en était surpris. Il ne l’avait pas imaginé. Ce n’était pas une vieille, c’était ELLE, et pour lui, elle avait l’âge de l’éternelle jeunesse.
Il y a si longtemps, se dirent-ils dans un accord parfait. Puis ils rirent. C’était bien ce rire cristallin qu’il avait entendu à plusieurs reprises. C’était bien cette allure, ce parfum, ces mains, ces bagues. C’était un grand bonheur. Un immense bonheur. Un bonheur qui ne devrait plus s’arrêter. C’était impossible. Puis sans se concerter ils continuèrent leur chœur :
J’ai tant espéré ce moment.
Ils rirent encore, comme des gamins. Quand Ehaloa les vit se séparer, ils avaient l’un et l’autre le visage plein de larmes. Des larmes de joie et d’émotion. Chacun les essuya doucement, dans une caresse, sur le visage de l’autre.
– Viens, lui dit sa mère, ton père nous attend.
Ils repartirent en direction du palais. Main dans la main. Ehaloa, pour leur laisser leur intimité, attendit quelques instants. Puis elle suivit les deux silhouettes qui tanguaient sans arrêt l’une vers l’autre. Pourtant, elle ne ressentait aucune amertume, aucune jalousie. Elle était sa Reine, et elle, Ehaloa, lui avait sauvé la vie.
Elle revit la scène…
- ☺-
C’était l’arrivée de cette jeune Reine qui venait d’être victime d’un attentat terroriste sur terre, en Europe.
Bien qu’elle ait débarqué avec son époux qui avait été assassiné en même temps qu’elle, bien qu’il soit visiblement très amoureux d’elle, la réunification du corps charnel et de son étoile aurait dû résoudre tous les problèmes. Curieusement, elle ne semblait pas s’en remettre. Il restait comme une empreinte. Tous ceux qui devaient être à leur service s’en sont trouvés très affligés. Cela ne s’était jamais produit. Il y avait eu une anomalie. On avait beau lui expliquer que la mort n’était qu’un passage, la séparation d’avec son enfant était un drame qu’aucun argument, aussi peu rationnel qu’il fût, ne parvenait à compenser. Elle voulait repartir, à tout prix. Cela devenait une idée fixe. Il était impossible de lui faire comprendre que cela ne pourrait se faire dans l’immédiat, et que son fils la rejoindrait un jour. Chacun craignait qu’elle ne commette une imprudence. Malgré de grandes précautions, la petite planète Esperanza était comme chaque chose dans l’univers, le bien et le mal étaient présents. C’était une question d’équilibre. Il fallait donc la surveiller.
Bien sûr, on lui avait montré son enfant en sécurité avec sa nounou. Mais cela ne la rassurait pas. Le manque était plus fort que tout. Même à des milliers d’années lumières des terriens. Peut-être d’autant plus.
Le Conseil des sages de l’Univers auquel participait son époux, avait décidé de ne pas lui expliquer que cette planète recelait aussi des dangers. Il ne fallait pas ajouter à son désarroi. Ehaloa qui avait toujours veillé sur elle depuis la période des fiançailles de son roi, avait donc obtenu trois autres amazones pour sa protection rapprochée. Elle ne devait à aucun prix sortir du domaine. La Reine Anka ne se plaisait que dans le jardin où elle parlait aux roses et aux oiseaux. Il n’y avait rien de plus charmant que de voir cette longue jeune femme entourée de colibris voletant autour d’elle comme des myriades de taches de couleurs. Ehaloa aurait aimé l’avoir pour mère.
À force d’habitude, l’amazone relâchait un peu la surveillance et laissait la Reine vaquer comme elle l’entendait. Anka qui était une fine mouche avait alors exploré les coins et les recoins du domaine. C’est comme cela qu’elle avait découvert la sortie… et comment la passer.
Le jour où Ehaloa ne l’avait plus trouvée, elle s’était affolée. Plutôt que de rassembler ses filles et de prévenir Neki, elle avait décidé de régler le problème, seule. Partant dans la campagne, regardant s’il y avait des traces, elle avait opté pour la mauvaise direction. Anka avait pensé à tout et brouillé les pistes.
- ☺-
Pendant qu’Ehaloa la cherchait, la Reine avait considérablement avancé. Découvrant, émerveillée, une nature sauvage où l’eau était omniprésente, elle avait suivi un petit torrent et s’était retrouvée devant une cascade qui rebondissait au milieu des rochers.
Le plus extraordinaire c’était la population du lieu. Cachée derrière un buisson, elle épiait un petit groupe de sirènes qui s’ébattaient dans l’onde. On lui avait dit que c’était un monde ensorcelé emplis de bons et de mauvais côtés, la prudence disait donc de se méfier. Aussi observait-elle ce monde nouveau, de sa cachette.
Au milieu de ces naïades écaillées de bleu, régnait une femme qui lui ressemblait. Elle ne s’imaginait pas en bleu, mais là, elle voyait l’effet produit. C’était incroyable. Comment cela pouvait-il être possible ? Comment s’appelait cette Reine bleue ? Elle n’eut pas besoin d’attendre… Une pique la poussa, et elle s’affala dans le buisson. Puis elle fut redressée, attachée et emmenée par deux énormes poissons ridicules avec leurs harnachements guerriers. Mais elle n’avait plus envie de rire.
Méhério, en voyant arriver cet équipage, se leva stupéfaite. « Qui osait troubler sa villégiature ? » Les gardes allaient précipiter Anka dans l’eau pour la noyer lorsqu’elle les arrêta d’un geste. Instantanément, comme lors d’un électrochoc inversé, la mémoire lui revint. Tous ses souvenirs affluaient.
Ainsi « ELLE » était là ! Depuis l’aube des temps, elle lui devait sa chute, son apparence de poissonne, sa relégation dans le monde sombre, son éviction de son rôle de Reine… Alors elle allait payer. Payer cher. Très cher. Sur cette planète du temps oublié, était enfin venue l’heure, la seule qu’elle pourrait réinitialiser : celle de la vengeance !
La
seule qui pourrait peut-être lui rendre son aspect normal. Elles
se regardaient. Anka
saisie de stupeur reconnut sa sœur jumelle.
– Orka,
ainsi c’était toi, tu étais là ? Je te croyais morte.
– Morte
sur Terre, oui. Mais tu sais bien que la mort n’existe pas. J’ai
un royaume et ici, là où tu viens me déranger, c’est mon lieu de
repos. Ici seulement, je ne dépends pas du monde sombre, je n’en
suis pas la gardienne.
– Tu
as été sévèrement punie, alors qu’Ankus t’aimait… Mais
pourquoi ?
– Ankus
le roux ? Mais je n’en voulais pas…Tu m’as pris celui que
je désirais…
– Alors
c’était ça ! Mais Neki ne t’aimait pas. Nous nous aimions
infiniment, lui et moi. Tu as confondu amour et désir. Tu as séparé
les valeurs de l’amour de leurs symptômes. Tu as dissocié l’amour
universel de l’amour charnel. Tu n’as rien compris. Pourquoi
toujours vouloir ce que j’avais ? Ne pouvais-tu être
toi-même ?
– Qu’est-ce
que tu racontes ? Sornettes que tout cela. Et puis j’étais
moi-même, je le suis toujours ! Je ne sais si c’est parce que
nous sommes jumelles que nous aimions le même homme…
– Mais
il ne t’aimait pas ! Et puis je viens de te le dire, tu le
désirais seulement, c’est ton côté envieux, l’avidité de
pouvoir sur un homme, peut-être…
– C’est
toi qui le dis, nous étions semblables, donc il devait m’aimer.
– Mais
Ankus t’aimait et il était son frère…
– Je
n’aimais pas ce rouquin !
– Pourtant,
il est si chaleureux, si puissant…
– Arrête,
ton discours est stupide : cela ne se commande pas. Et si je ne
suis pas en enfer, c’est simplement, vois-tu, parce que nous
devrons y aller ensemble ! Notre gémellité va ravir le Prince
des lieux…
– N’y
crois surtout pas ! Nous sommes séparées, je fais mon chemin,
tu fais le tien ! Libère-moi, ça ne rime à rien.
– Tu
oublies que tu es en mon pouvoir, petite sœur ! Tu vas payer !
Anka se dit qu’il fallait gagner du temps. Absolument.
– Mais
qu’est-ce qui s’est passé ? Pour moi, tu as disparu
brusquement… C’est tout ! Au début je t’ai crue morte,
puis disparue, puis j’ai pensé qu’ils t’avaient exilée…
– Ah
oui ! Exilée ? Hein ? Curieux exil que celui qui
t’enlève ton apparence pour te transformer en demi-poisson !
– Ils
m’ont dit que tu étais simplement punie…
– Tu
te vois avec une queue, toi ? Et bleue de surcroît ?
– Mais
ce n’est certainement qu’un passage, voyons…
– Tu
es naïve ou idiote ? Et je ne t’ai pas manqué ?
– Je
pensais que je te reverrai, puisque la mort n’est qu’un passage,
ils l’avaient dit. Alors je me suis habituée.
– « Habituée » !
Je n’en reviens pas…. Je vais t’habituer à autre chose, moi,
tu peux me croire !
– Excuse-moi,
je te demande pardon si je t’ai blessée. Raconte-moi plutôt, tu
sais bien que si je peux faire quelque chose, je le ferai.
– N’inverse
pas les rôles, tu es en mon pouvoir. Mais si tu veux savoir, je vais
te conter ce que tu sembles ignorer. Gardes, mettez la sur ce rocher.
Les gardes rouges poussant Anka et lui appuyant sur les épaules la forcèrent à s’asseoir. Elle constata, de là où elle était, qu’elle ne voyait plus au-delà de la cascade, ainsi on ne la voyait plus non plus. En fait de gagner du temps, elle venait d’en perdre.
La
Reine, d’un geste, fit comprendre à ses sirènes qu’elles
devaient aller jouer dans le lac. Puis
elle reprit
– Lorsque
j’ai vu que tu allais arriver à tes fins, je suis allée voir Neki
pour lui dire que je l’aimais vraiment.
– Tu
as fait ça ! Mais c’était mon seul amour !
– C’était
le mien aussi. Sauf qu’il n’a rien écouté. Oh, il n’a pas été
méchant… Il m’a simplement dit que c’était toi qu’il
épouserait, et qu’il m’apprécierait comme belle-sœur ou comme
petite sœur, j’avais le choix.
Anka reconnut bien là le caractère tempérant de son aimé. Mais la sirène continuait sur un ton plus violent :
– J’étais furieuse d’avoir été éconduite, d’autant qu’il a ajouté en riant d’un ton malicieux : mais Ankus t’aime profondément, il n’a pas encore déclaré sa flamme ? Il n’a vraiment pas d’excuse, lui le maître du feu !, et il a éclaté de rire. Il venait de me mettre définitivement en colère. C’est un pervers. Oser me faire cela, à moi !
Anka
baissait la tête pour qu’elle ne la voie pas sourire. Il était
inutile d’aggraver son cas. Elle
releva la tête :
– Une
rumeur dit que tu avais décidé de le tuer ?
– Je
ne voulais pas que tu l’aies ! Personne ne l’aurait. J’ai
pris mon temps. J’ai conçu un plan qui me semblait infaillible. La
veille de vos noces approchant, je devais agir. J’avais réussi à
séduire Enki. Cependant comme il savait qu’Ankus m’aimait, il
résistait. Pourtant, je suis arrivée à distraire sa vigilance, et
pendant son sommeil ayant fouillé son appartement, j’ai trouvé la
hache ! Et puis ce jour là, je lui ai dit d’ordonner à son
aigle de rester sur son perchoir, cet animal m’importunait.
– Il
l’a fait ?
– Oui.
– C’est
curieux, d’habitude il ne s’en sépare pas.
– Il
l’a même mis dans sa cage à l’extérieur, en lui disant d’y
rester. Pour me faire plaisir.
Et
elle l’a cru, se dit Anka ! Quelle naïve ! Connaissant
Enki, il avait dû laisser la cage entrouverte exprès. C’était
évident, jamais il ne se séparait de son compagnon à plumes.
– J’avais
préparé une collation que j’emmenais dans un panier. Mon idée
était de l’endormir encore une fois.
– Lui ?
Mais tu ne pouvais y arriver, voyons, c’était de l’inconscience…
– La
femme est détentrice de forces insoupçonnées. Tu devrais le
savoir !
– Mais,
ils sont les maîtres du monde…
– Et
alors ! A ce qu’on dit Lucifer s’est bien mesuré à leur
père ?
– Vu
ce qui lui est arrivé, tu aurais dû te méfier !
– Justement,
je me suis méfiée…
– On
ne dirait pas…
– J’ai
quand même réussi à l’assoupir, puis j’ai couru prendre sa
hache.
- ☺-
Ehaloa cherchait en vain. Puis, brusquement, elle eut l’impression de pénétrer une pensée. Cela lui fit une impression bizarre. Elle perçut un fort sentiment de vengeance.
La dernière fois qu’elle avait vécu cela, c’était la veille des noces de son roi. Elle montait la garde sur une terrasse. Elle voyait en contrebas, Neki tranquillement installé à lire assis sur un muret. Sa future épouse se reposait dans sa chambre. Tout était calme. Puis elle avait senti ce vent de haine passer. Se demandant d’où cela pouvait il bien venir, elle avait quitté son poste et volant au-dessus des jardins avait entamé une tournée de vigilance. Puis elle avait entendu du bruit, s’était élevée plus haut et était restée sidérée de ce qu’elle observait : Orka arrivait furtivement brandissant une hache qui avait les éclats de l’or, en direction de Neki qui lui tournait le dos.
L’aigle qui avait suivi son maître de très haut jusqu’au lieu de la collation, avait ensuite suivi Orka partie voler l’arme, puis il avait réveillé Enki qui arriva à point nommé pour empêcher la hache de s’abattre.
Fou furieux, il maîtrisa celle qui avait osé le tromper, et qui hurlait en se débattant. Il la fit mettre à genoux, l’attacha et la bâillonna, sous le regard stupéfait de Neki qui ne savait plus que faire. Il était là, les bras ballants. Comment avait-elle pu aller jusque là ? Ainsi, ce n’était pas un jeu d’adolescent ?
Ehaloa pensa que jamais elle n’aurait pu deviner que la jeune fille ait une telle haine pour son roi. Tout cela allait gâcher la fête qui se préparait activement.
Elle vit alors arriver Nynki, alerté par le bruit. Il y eut un conciliabule entre les frères. Enki, de ses deux mains, appuya sur les côtés du crâne de la jeune fille qui lui lançait un regard furibond. Elle s’effondra. Puis le dernier arrivé chargea le corps sur une épaule et s’enfonça dans le souterrain sous le palais.
On ne revit plus jamais Orka.
En fait, Ehaloa, dans ses pérégrinations sur Espéranza, l’avait aperçue et reconnue malgré son teint bleu et sa longue queue. Ainsi, elle avait été bannie et l’homme aux dauphins l’avait changée en sirène… avait-elle mesuré sa chance ? Certainement pas, car l’amazone venait de comprendre : c’était bien la même onde de haine qu’elle venait de sentir. Elle se précipita, inquiète, vers la cascade.
- ☺-
À
l’abri de la chute d’eau, assise sur son rocher, Anka abasourdie
voyait la haine de sa sœur s’extérioriser. Elle devenait laide,
deux grandes rides d’amertume partant du nez s’étaient tracées
jusqu’au menton et un faisceau de plis partant du haut du nez
striait son front lui donnant l’air fou furieux.
– Mais
je n’ai pas pu le tuer, cria-t-elle, cet animal d’Enki m’en a
empêchée.
– Enki
possède le secret des vies terrestres et universelles, tu ne pouvais
le tromper aussi facilement !
– Tu
ne me l’avais pas dit !
– Je
ne le savais pas, c’est peu à peu que j’ai été initiée. Ainsi
c’était toi qui avais commis un attentat contre mon fiancé, sur
Terre, la veille de notre mariage ?
– Tu
sais bien que les faits peuvent se décalquer entre les
espaces-temps. Oui, c’était moi. Tu atteignais le stade suprême,
Reine sur Terre et dans le ciel, moi, je n’étais rien !
– Quelle
erreur… Et avec Ankus tu aurais régné sur tous les soleils !
L’amour qu’il te portait était bien plus qu’un pouvoir pour
toi…
– Tais-toi !
Anka
baissa la tête. Cette imprudence qu’elle venait de commettre en
sortant du domaine protégé allait très mal se terminer. Comment
Enki, qui savait tout, pouvait la laisser faire ? Elle se
concentra sur l’image de son beau-frère qu’elle admirait, cet
homme au visage dévoré par ses grands yeux fendus au regard très
bleu, si perçant que l’on se sentait transparent devant lui.
Comprendrait-il ? Oui, évidemment.
– Mais
tu vas voir jusqu’où ils sont allés pour m’humilier, poursuivit
la femme bleue. Je suis certaine que jamais ils ne t’ont raconté.
Quand Enki a pris ma tête dans ses mains, la douleur était telle,
que j’ai cru mourir. Je me suis réveillée dans un cachot très
sombre au milieu de nulle part, entravée, bâillonnée, attachée.
C’était inhumain. Le temps a passé, j’ai été incapable de me
libérer. Personne n’est venu pour me donner au moins à boire. Je
me suis dit qu’ils avaient décidé de me faire mourir comme au
moyen-âge de la Terre où on laissait les gens croupir jusqu’à ce
que mort s’ensuive, dans les fameuses oubliettes.
Anka regardait sa sœur. Pendant ce temps-là, se disait-elle, ils sont venus me dire que ma jumelle avait commis l’irréparable, et qu’ils l’avaient exilée. Seulement exilée.
Mais la douceur et la profondeur de l’amour de Neki avait calmé son chagrin. « Ma douce, disait-il, tu aimes des gens qui ne le méritent pas. La haine et la jalousie sont de terribles sentiments. Laisse ta sœur se racheter et ne me demande jamais ce qu’elle a fait. »
Son grand amour était un être si juste, qu’elle n’avait rien demandé pensant que cela ne durerait pas.
– Et puis, j’ai entendu des pas, poursuivit la poissonne. J’étais bien incapable de savoir depuis combien de temps j’avais été abandonnée là. Des gardes ont enlevé mes entraves, puis ils m’ont traînée dans une salle voûtée qu’éclairaient de grands flambeaux. Je suis sûre que tu ne sais même pas où c’est.
Anka fit « non » de la tête.
– On
m’a déposée au centre d’un cercle autour duquel étaient
disposés sept sièges, cinq comme des cathèdres ornées de
différents motifs, et deux trônes. Mais je n’ai pas eu le temps
de détailler, car ils sont entrés.
– Qui ?
– Enki
et ses frères. Mais je ne les avais jamais vus comme ça. Ils
avaient revêtus leurs symboles de pouvoir et leurs tenues d’apparat.
Le garde m’a retiré mon bâillon. Je me sentais sale, avilie, et
bien incapable de leur tenir tête.
Anka revit les frères le jour de son mariage, ils étaient superbes et impressionnants. C’est vrai, elle aussi avait ressenti une très grande intimidation. Pourquoi aucun de ses beaux-frères ne s’était-il marié ? Orka n’en était-elle pas la cause ?
– J’ai compris, poursuivit la Reine des sirènes, que mon heure était venue : c’était un tribunal. Les trônes sont restés vides. Tu sais, ils étaient bien différents des frères que l’on connaissait. Enki avait l’air impassible, comme si je lui étais étrangère, son sceptre à la ceinture, de la main droite, il tenait sa hache d’or dont le côté du tranchant était posé à terre, prête à servir. J’en ai tremblé, car les yeux d’Erkym étaient devenus couleur de cruauté, cette couleur argent sombre que prennent les yeux des gens à la peau foncée lorsqu’ils sont très en colère. Je frémissais de peur. Qu’allaient-ils me faire ? Puis j’ai regardé Neki, inquiète. Il avait l’air absent.
Anka se souvint. Quelques jours après leur nuit de leurs noces, les cheveux de son amour étaient devenus couleur argent. Elle s’était bien demandé pourquoi. Qu’avait-il vécu de si horrible que ses cheveux en changent de couleur ? Lorsqu’elle le retrouverait, elle pourrait lui en parler. Cela devait être à cause de ce qu’ils avaient fait subir à Orka. Le père et le fils étaient aussi sensibles l’un que l’autre. Mais là, maintenant, arriverait-elle à se sauver ? On devait bien être à sa recherche.
La sirène continua comme dans un cauchemar qu’elle devait absolument revivre :
– Nynki me regardait de son air froid. Ankus, seul, avait l’air malheureux. Il avait l’air triste, résigné. C’est Erkym qui a pris la parole. Je le vois encore… Mes écailles s’en hérissent…
- ☺-
Sous
la voûte de pierre éclairée par la lumière oscillante des
flambeaux, la voix métallique d’Erkym retentit :
– Orka,
tu as enfreint les lois sacrées. Tu as volé intentionnellement le
symbole trancheur des souvenirs de vie, la Hache sacrée. Tu as eu
l’intention de tuer Neki qui connaît les secrets des âmes. Nous
devons décider de ta peine. Car tu vas être punie, tu ne peux vivre
désormais parmi nous car tu as aussi cherché à faire du mal à ton
beau-frère, et par conséquent à ta sœur. Ceux qui s’attaquent
aux Maîtres du Monde subissent les lois universelles. Qu’as-tu à
dire pour ta défense ?
La
jeune femme leva les yeux.
Le
regard de l’homme en robe de moire blanche étincelait. Ce n’était
pas rassurant. Que
dire, que faire ? Demander pardon ? Non, cela ne se
pouvait. Pas cela. Anka lui avait volé son avenir. C’était elle
qui devait être punie. Elle
prit la parole d’une voix enrouée d’inquiétude :
– Je ne savais pas que cette hache était sacrée… J’aime Neki, je veux l’épouser. C’est pour cela. Il n’a pas voulu de moi. Elle m’a tout volé.
– Neki aime Anka qui est devenue sa femme. Tu le savais, tu ne devais pas tenter de le détourner de son amour. De plus, tu as essayé de séduire Enki, juste pour voler la Hache. Ce sont les faits.
La Hache s’orienta dans un éclat de lumière.
Les yeux d’Enki lancèrent des éclairs.
Elle comprit qu’il n’y aurait pas de quartier. Elle l’avait largement sous-estimé.
Elle jeta un regard suppliant vers Ankus qui détourna son regard. Il n’y aurait aucun secours de ce côté-là, non plus.
– Tu
as déçu Ankus, reprit le noir. Il va se prononcer en premier sur ta
sentence.
– Orka,
j’avais tant espéré… Puis je t’ai vu courir après Neki par
simple jalousie. Puis après Enki et je ne savais pas pourquoi. J’ai
compris que mon amour pour toi était sans espoir. Il aurait fallu
chasser cette noirceur de ton âme. Je pense que tu n’as pas bien
su ce que tu faisais. Mes frères, je demande que la peine ne soit
pas irréversible. Je demande un peu de clémence. Toute âme peut
être sauvée.
La
prisonnière se dit que si Neki allait dans le même sens, elle s’en
sortirait quand même, sans trop de mal.
Erkym
fit un geste vers l’homme qui était venu sans son dauphin.
– Orka,
fit Nynki, tu as attenté à la vie de mon frère, trompé Enki et
rendu Ankus très malheureux. En cela tu as compromis gravement un
équilibre de notre univers.
Ses
yeux bridés s’étirèrent comme des fentes dont nul regard ne
sortait. C’était pire que la cruauté. Il continua :
– Tu
sèmes l’envie, la jalousie, la méchanceté. Je demande ton exil
au-delà des confins du monde de l’impossible avec l’interdiction
de revenir.
– Cela
me convient, dit alors Neki. Je ne parlerai pas à ma douce épouse
de ce qu’il s’est passé. Elle saura seulement que tu es sortie
du domaine universel enfreignant ainsi nos règles et que tu n’as
certainement pas survécu. Et nous lui dirons que l’on te fait
rechercher. Ceci juste pour ne pas lui faire de peine, car tu ne
mérites pas l’amour que ta sœur te porte.
– C’est
ma jumelle ! Tu n’as pas compris que c’est moi que tu aimes.
Je suis Elle !
– Raison
de plus, tu devrais l’aimer, or tu te comportes comme si tu la
détestais.
La
jumelle se tortilla sur la grande dalle du centre de la salle.
Visiblement énervée. Était-ce donc si grave, tout cela ?
Allait-elle se réveiller de ce cauchemar ?
Erkym
s’insurgea :
– Je
vous trouve bien complaisants. Nous devons appliquer les règles.
Nous devons lui imposer des épreuves qui lui permettront de nous
prouver qu’elle a vraiment changé sinon, qu’elle aille en
enfer !
– Bien
sûr, reprit Nynki, nous allons l’exiler aux portes du monde sombre
avec une épreuve dont elle ne pourra s’enfuir. Si elle réussit,
nous reverrons son cas. Si elle poursuit avec sa noirceur d’âme,
elle basculera dans l’univers de Lucifer dont jamais elle ne
s’échappera. Qu’en penses-tu Enki ?
L’homme
au regard d’aigle la fixa longuement. Sévèrement.
– Tu
pouvais tenter de me rouler, mais voler la Hache pour en plus tuer
mon propre frère, une arme sacrée contre l’un des maîtres du
monde, c’est un crime que je ne pardonne pas !
– Mais,
je n’ai tué personne…
– Grâce
à moi ! Mais je n’aurai que la clémence de te trancher les
fils du souvenir, ce sera à tes risques et périls, car tu ne
maîtriseras plus ton destin. Tu en auras parfois des remontées
intuitives. Tâche de les écouter. Sinon tu le paieras encore plus
cher.
Enki
chercha le regard d’Erkym. Celui-ci intervint alors.
– Je
m’en tiendrai donc aux lois universelles.
– Bien,
fit l’homme aux cheveux de jais, Gardes, emmenez-la dans la salle
des métamorphoses et installez-la... Suis-moi Nynki, nous avons du
travail.
Ils emmenèrent une furie.
Installée. Attachée nue, les jambes jointes et les bras en croix, sur une table bizarre, Orka s’affolait. Qu’allaient-ils lui faire ?
Enki et Nynki devisaient près de la porte. Puis l’homme aux yeux très bleus s’approcha avec un livre relié à la tranche d’or, qu’il ouvrit sans hésitation à la bonne page.
– Orka, tu vas devoir nous prouver que tu es capable de devenir, comme ta sœur, un être d’amour. Ce sera ta seule chance de t’en sortir. Des occasions te seront données de prouver ton amour à plusieurs hommes. Fais bien la distinction entre désir et amour, ils doivent être complémentaires. Sinon tu devras résister à l’envie irrépressible de te comporter comme une mante religieuse et de les tuer après avoir pratiqué l’acte sexuel. Nous te condamnons à ne pas pouvoir t’échapper de l’endroit où nous allons t’envoyer.
Nynki reprit le livre à la même page, pendant qu’Enki dirigeait son sceptre sur le ventre de la jeune femme. Leurs voix se mélangèrent dans des incantations qu’elle ne pouvait comprendre. Puis ils se turent.
Alors une douleur intense lui vrilla le ventre, puis elle envahit tout le bas du corps. Terrassée par ce mal inconnu, elle hurla longuement. La souffrance était telle qu’elle ne pouvait plus articuler. Ses bras se tordaient malgré les anneaux dans lesquels ils étaient bloqués. Elle comprit intuitivement que chaque molécule de son corps changeait d’orientation. Elle mutait.
Les
deux hommes regardaient sans broncher, comme des scientifiques
assistant à une expérience. Puis
sa colonne vertébrale sembla se tordre et onduler.
– NnnooooooN !
Le
hurlement de protestation emplit la pièce.
Mais
ses hanches rétrécirent et les jambes se collèrent. Une peau
d’écailles bleutées la recouvrit peu à peu et s’arrêta au
nombril, et la couleur bleue continua de monter.
La sirène avait presque terminé sa mutation. Ils la détachèrent, et maladroitement elle tomba à terre. Arc-boutée au sol, essayant de se redresser, et voulant marcher pour s’enfuir comme si c’était encore possible, elle ne réussit à rien. Comment s’échapper ? Comment marcher ? Ce nouveau corps était extrêmement douloureux… Peut-être était-ce momentané ? Elle réussit à se retourner à leurs pieds et les observa, atterrée.
Ils restaient muets. Terribles. Une ultime tentative, elle envoya un coup de queue et réalisant ce qu’elle était devenue, fut prise de sanglots très violents.
Impassibles, ils semblaient attendre quelque chose. Elle s’affaissa sur le sol, ses longs cheveux étaient devenus bleus.
Alors ils rouvrirent le livre et recommencèrent un cérémonial presque identique.
Elle s’arrêta de bouger, comme paralysée, les yeux affolés. Qu’avaient-ils encore d’autre dans leur sorcellerie ?
Elle semblait prendre conscience que la situation lui échappait désormais complètement. Prisonnière ce n’était rien, mais cobaye c’était effrayant. Elle ne connaissait rien de pire.
Des faisceaux de lumière sortirent de la naïade bleue par tous les chakras.
Enki se saisit alors de la hache d’or et par de grands gestes circulaires qui la remplirent d’effroi, comme s’il s’agissait de couper un chêne vieux de mille ans ou de le tronçonner en rondins réguliers, il trancha chaque faisceau qui s’éteignit.
Elle s’évanouit.
Les frères reprirent le livre :
– Désormais, tu t’appelles Méherio, la Reine des sirènes. Tu vas vivre à la limite du monde sombre dont tu bénéficieras des énergies. Tu devras tuer tout homme avec qui tu feras l’amour juste par désir. Si tu y parviens, ta puissance sur ton domaine s’étendra et tu resteras la Reine. Sinon, tu seras déchue et tu subiras le sort que tu réserves à tes suppliciés. En revanche si tu parviens à éprouver de l’Amour pour l’un de ces hommes, tu reviendras ici où nous reverrons ton sort.
Sur un ordre les gardes emmenèrent la sirène évanouie.
- ☺-
La
perception extra-sensorielle d’Anka lui avait permis de voir la
scène que racontait sa sœur. Elle éprouva une immense pitié.
– Mais
alors, tu n’as pas rencontré d’homme ?
– Si,
j’ai même eu une fille… Vaïana.
– Et
lui… ?
– Je
l’ai tué.
Anka comprit qu’elle ne s’en sortirait pas. Elle chercherait un subterfuge ou pire la ferait disparaître pour prendre sa place. Mais avait-elle ce pouvoir ?
Orka la regarda, comme inspirée :
– Mais
comme ta venue m’a rappelé mes souvenirs, peut-être que je vais
pouvoir m’échapper… Mais comment retrouver mon aspect physique ?
Est-ce que tu as des pouvoirs, toi ? Ils t’en ont donné ?
– Non,
pas que je sache. Car je n’en ai pas besoin.
– Pas
besoin ? Mais tout le monde en a besoin ! Tu es stupide !
Et il y en a de toutes sortes… Chacun doit choisir et développer
ce qui lui convient pour être plus puissant que son voisin.
– Alors,
reprit doucement Anka, j’ai le pouvoir d’Aimer, et il me suffit.
La sirène éclata d’un rire grinçant.
– Quelle idiotie ! Tu parles d’une aide ! Qu’est-ce que je vais faire de toi ? Je n’ai même pas le pouvoir de te transformer en sirène… Pourtant, cela m’aurait fait plaisir.
Anka se taisait. La situation se dégradait. Elle se leva.
– Tu ne peux t’échapper que si je le veux ! cria la femme bleue.
- ☺-
Ehaloa, qui s’était approchée sans se faire voir du groupe de sirènes, entendit cette dernière phrase. Elle comprit que sa Reine avait été faite prisonnière. Jamais le roi ne le lui pardonnerait. L’amazone se dit que la seule façon d’aller au secours de sa Reine était de s’élever assez haut, car les sirènes ne volaient pas, ni même leurs rougets caparaçonnés. Ainsi fit-elle, puis calculant sa plongée, comme une comète tombant sur terre, elle fila juste à l’aplomb de la chute et la traversa. Les poissonnes ne virent qu’un éclair de lumière sans bien comprendre. L’éclair de lumière bouscula les rougets qui tombèrent à l’eau, comme électrocutés.
Ehaloa, à peine mouillée, retomba sur ses pieds entre Anka et Orka.
– Qu’est-ce que c’est que ça ? s’écria cette dernière.
Le temps qu’elle revienne de sa surprise, Anka détachée, frottait ses poignets engourdis.
Mais la Reine Bleue se ressaisit vite.
– Holà, gardes, à moi !
Mais l’amazone avait foncé sur la Reine des Sirènes et tentait de la maîtriser. Le poisson, c’est glissant. La femme infernale se coula dans son domaine naturel et disparut.
– Vite, ma Reine, vite, sortons d’ici, c’est extrêmement dangereux.
Elle la poussa vers la paroi pour longer la cascade et sortir de la grotte. Pour s’envoler, il fallait au moins passer le gué. Prenant la jeune femme blonde par la main, elle l’entraîna vers les blocs qui émergeaient de l’eau.
Soudain, les pieds d’Anka furent agrippés par des dizaines de mains bleues et la Reine, déstabilisée, tomba sans qu’Ehaloa puisse la retenir. Elles l’entraînèrent vers le fond.
D’un regard, évaluant la situation, la guerrière se dit que les sirènes pouvaient tuer leur proie mais que ce n’était pas leur intérêt. Il fallait agir, mais comment ? Elle était venue seule, ce que jamais elle n’aurait dû faire. Si jamais elles l’emmenaient dans le monde sombre, la situation serait bien pire. Il lui vint une idée.
– Méherio, laisse ma Reine s’en retourner, elle te sera plus utile auprès des Maîtres du Monde qu’en ta possession. Je veux bien conclure un marché. Dis ce que tu veux.
La Reine bleue sortit de l’onde la moitié supérieure de son corps et la jaugea. Et si elle parvenait à lui jeter un sort suffisamment effrayant… Une partie du sort dont elle avait fait l’objet ! Cela la libérerait au moins partiellement. Somme toute, un juste retour à l’envoyeur. Il fallait tenter cela.
– Je
veux que tu me serves. Je veux que tu sois mon objet d’échange
auprès de tes maîtres et que tu convainques ta maîtresse
d’intercéder pour moi, auprès d’eux.
– J’accepte.
Alors, libère Anka !
– Puisque
tu acceptes… Oui, elle sera libre… Attends…
Et Méherio dirigea ses deux mains, dont les ongles devinrent incandescents, vers l’amazone. Elle se concentra. Un jet brûlant sortit de ses mains et aspergea la guerrière qui poussa un hurlement et sembla fondre sur place. La masse rouge et noire s’aplatit puis enfla, et l’araigne apparut.
– Désormais, dit alors la Reine des sirènes, chaque fois que tu devras faire un acte de guerre, tu te transformeras et tu épouvanteras tes ennemis. Seul l’acte sexuel te sauvera de cet aspect. Mais à chaque fois tu devras tuer celui à qui tu auras prodigué tes bienfaits. C’est à cette seule condition que tu garderas ta force. Chaque fois que tu seras dans cet état, je serai en contact avec toi si je suis sur Espéranza, et tu devras me rendre des comptes.
L’araigne désorientée et épuisée, regardait les sirènes sortir Anka de l’eau. Elles la ranimèrent. La Reine apercevant le monstre et pensant lui être livrée comme nourriture, se mit à crier.
– Au secours, Ehaloa !
L’araignée se déplaça lourdement dans sa direction.
La jeune femme affolée se releva précipitamment et s’enfuit en courant, sous les quolibets des sirènes qui l’avaient relâchée.
L’araignée en panique, honteuse, décampa dans l’autre direction vers la forêt.
- ☺-
Plus tard, Ehaloa rentra au palais, décidée à expliquer à sa Reine, quel marché elle avait conclu pour la sauver des griffes de sa sœur. Mais jamais au grand jamais elle ne pourrait le dire à Neki. Dans la forêt voisine on trouva un valet déchiqueté.
Il y avait un nouveau monstre inconnu sur Espéranza.
- ☺-
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