Il
marchait à grand pas sans savoir exactement où il allait, mais
l’expérience lui avait appris qu’il fallait avancer sans se
retourner. Derrière, il n’y avait que déceptions et souvenirs qui
comparés au présent pouvaient rendre fragile, cela s’appelait
« regrets ». Il fallait se concentrer sur le présent et
s’efforcer de le vivre intensément en faisant au mieux. Mais que
fallait-il faire maintenant ?
Il
se rappela soudain : il était parti à la recherche de l’Étoile
du Matin, et puis il s’était pris les pieds dans des aventures
possibles, il s’était laissé distraire de son but. Désormais, il
ferait attention. Le nez levé vers le ciel, il regardait si des
étoiles naissantes, celles qu’il avait vu naître justement,
n’étaient pas déjà là. C’était un message d’espoir qu’il
cherchait, l’un de ces signes qui vous réconfortent sans que l’on
sache vraiment pourquoi, lorsqu’ils sont sur notre chemin. Mais
rien. Rien que du noir. Retrouver la grotte, ce serait réconfortant.
Mais où était-elle ? Il pivota dans tous les sens. Nulle
lumière même infime ne la signalait. Pourtant, il était certain
que l’on pouvait la repérer. Il fallait monter sur un promontoire,
cela lui permettrait d’avoir une vue d’ensemble. Il se
rappelait : d’un côté la mer, de l’autre les grandes dunes
bleutées. Curieusement, il avait l’impression que chaque fois
qu’il franchissait une dune, la suivante était encore plus haute.
Un éclair bleu-vert s’enfila dans le sable à quelques mètres.
Croyant avoir aperçu le lézard, il fila vers l’endroit. Mais il
ne vit rien. Peut-être était-ce un mirage. Il monta non sans peine
sur celle qui se trouvait en face de lui, à chaque pas il glissait
et redescendait de moitié comme si la dune ne voulait pas être
montée. Mais il se savait plus fort qu’une dune. Les humains sont
obligatoirement plus forts qu’un tas de sable amassé par le vent
fusse-t-il bleu ! Qu’il tente de monter légèrement ou qu’il
appuie ses pas, l’effet était le même à tel point que cela en
était sidérant. Après bien des efforts, il parvint malgré tout en
haut.
Sur
la crête de la dune, de quantités de petites pièces rondes
brillantes étaient arrivées là, il ne savait par quel mystère,
car il n’en avait vu nulle part. On aurait dit comme une
délimitation, comme une frontière, et bien qu’il ait eu cette
intuition, il n’y fit pas attention. Il en prit une dans sa main,
elle lui rappelait ce jour où, assis dans les graviers de la cour du
palais, vers l’âge de quatre ans, il avait ramassé avec
étonnement des sortes de petites rondelles très peu épaisses et
aux bords usés. Un dessin en spirale partait du centre et allait en
grandissant jusqu’au bord. Irina le voyant plongé dans une
observation intense de l’objet s’approcha. Il lui tendit en
disant : « Regarde Manina, des sous. » Et il en
avait enfoui plusieurs dans ses poches, ravi d’avoir enfin de
l’argent « de poche », sa seule richesse, car on ne
donne jamais d’argent aux Princes, ils n’en ont pas besoin. Ils
sont censés posséder tout ce dont les autres peuvent rêver. Mais
voilà, lui seul savait que ce n’était pas vrai. Et là, du haut
de sa dune, il contemplait cette petite pièce à la matière de
perle, ornée de minuscules pointillés disposés en spirale. Son
précepteur lui avait expliqué ce que c’était. Mais celle-ci ?
Ce devait être une Nummulite de nacre de la planète bleue. Il
savait que sur terre, c’était en fait un coquillage de l’Éocène,
de la famille des Foraminifères. Mais ici ? Il en compta douze
qu’il enfouit dans sa bourse. Il se sentait riche. Il se sentait
plus fort. Il regarda autour de lui.
D’un
côté la mer, comme il la voyait depuis qu’il était arrivé. Il
semblait ne plus être sensible à sa magie. Mais de l’autre se
dressait un paysage nouveau et incroyable. Sitôt la dune passée
s’étendait une zone très sombre, hérissée de buissons noirs
sans aucune feuille. On aurait dit une ancienne forêt qui aurait
brûlé. Plus loin, il y avait un paysage extraordinaire, une étendue
immense d’un blanc nacré luminescent qui semblait comme un paradis
par rapport à ce qu’il venait de quitter. Pourquoi les étoiles
n’en parlaient-elles pas ? Aurait-il découvert l’endroit où
seraient sa mère et son père ? Une telle luminosité devait
leur convenir.
Son
cœur sauta de joie : il avait certainement trouvé, et en plus
sans l’aide de personne ! Il n’avait qu’à descendre tout
droit devant, puis traverser cette lande noire désolée en faisant
attention. Il suffisait de passer au travers de ces arbustes
décharnés. Ce n’était pas une affaire, la distance à franchir
était bien moindre, lui semblait-il, que tout ce qu’il avait pu
parcourir jusqu’alors. Il s’élança et dévala le côté raide
de la dune, atterrissant sur les fesses dans un sol mou de poussières
de cendre.
Il
prit une poignée de cette matière douce et tiède. Ses mains
devinrent grises, il les battit l’une contre l’autre.
Curieusement le bruit qu’il produit sembla s’amplifier. Il
constata que cette poussière collait. Il claqua des mains, encore
plus fort. Le gris ne s’en allait pas, mais le bruit devenait un
roulement de tambour avec le croisement de l’écho qui remontait…
Il s’étonnait lui-même de cet effet. Se relevant, et continuant
ce bruitage qui l’amusait tant, il avança vers les premiers
branchages noircis. En regardant les premiers, il vit que c’était
bien du bois calciné. Il s’enfonçait dans un roncier incendié.
– Tu
en fais du bruit ?
– Cela
t’amuse ?
Il
regarda du côté de la première voix. Une étoile grise tachetée
de noir, façon Léopard d’Asie, venait de se lever et se campait à
sa droite fermement sur ses branches. L’autre voix venait de
gauche, il regarda qui lui parlait. Celle-ci était noire couverte de
petites bulles transparentes.
– Bonjour,
je suis surpris de trouver des étoiles ici…
Pouffant
de rire, elles entamèrent une danse autour de lui. Elles avaient
envie de jouer. Cela le fit rire aussi.
– Mais
quel est votre nom ? Moi je m’appelle le Prince Bleu.
– Nous,
nous sommes jumelles, répondirent-elles en cœur.
– Voici
Pullula, dit l’une en montrant l’étoile tachetée.
– Voici
Purpura, dit l’autre en désignant l’étoile aux pustules.
– Quels
drôles de noms ? On dirait des noms de maladies ?
– Mais
c’est qu’il est savant notre Prince ! reprit l’étoile
grise.
– Pourquoi
n’êtes-vous pas vers la mer ? Personne ne m’a parlé de
vous…
– Ah,
ça, ce n’est pas gentil ! Tu entends ce qu’il dit Pullula ?
– Oh,
je suis de ton avis, il faut lui faire un tour de magie…
– Quel
tour ? cria l’enfant en se reculant vivement.
– Celui-là !
s’exclamèrent-elles en se mettant à tourbillonner autour de lui.
Subitement
des buissons noirs émergeaient du sol formant une cage : il
était enfermé.
– Je
ne vous ai rien fait ! Laissez-moi sortir ! Pourquoi
faites-vous cela ?
Il
s’arc-bouta aux branches et les secoua de toutes ses forces. Un
chuintement monta de toute part. Les écailles de charbon des
branches mortes s’écartaient. Des épines d’un rouge
incandescent poussaient partout, il dut lâcher. Elles brûlaient. Les
deux Étoiles continuaient de danser autour de la cage en scandant
des paroles au rythme de leurs sautillements.
Tu
es pris petit
Il
ne fallait pas venir ici
Dans
ce pays maudit
Tu
es cuit petit
Cui
cui cui…
Le
« petit » qui, lorsque la minuscule étoile dirigeait son
rayon bleu dans son dos, avait pris trois centimètres sans s’en
apercevoir, car il ne regardait jamais ses manches, ni ses jambes de
pantalon, frémissait de fureur. Comment avait-il pu être aussi
bête ! Il venait de se jurer de ne plus se laisser distraire,
et que venait-il de faire ? Il aurait dû se contenter de
siffler, et l’Étoile du Matin serait arrivée !
À
chaque fois que l’on prend un chemin de traverse, il s’avère
très difficile de faire aboutir son projet. Il l’avait apparemment
compris, mais dans la réalité, il n’avait pas intégré, pas
incarné ce comportement. C’était resté à l’état d’idée,
de savoir. Pas de pratique. Si l’on va directement, cela semble
plus pénible, plus vertical, cela fait peur, car on pense que l’on
ne va nulle part, et le découragement prend, mais ce n’est pas la
réalité. C’était ça. Il manquait simplement de confiance en
lui. La réponse nous la possédons toujours.
Peut-être
qu’en sifflant… Les étoiles s’arrêtèrent immédiatement pour
le regarder. Pourquoi se mettait-il à siffler ?
Un
vent se leva, la cendre se mit à tourbillonner, il se cacha les yeux
avec les mains. Allait-elle apparaître et le délivrer ? Mais
il n’entendit rien. L’Étoile du Matin n’était pas venue.
Puis, de l’intérieur, une petite voix lui dit : « Tu
t’es encore fourré dans un piège, et cette fois-ci c’est le
piège le plus dangereux qui soit. Je ne peux rien pour toi. Pense à
une chose, et ne l’oublie pas : nous t’avons doté des armes
pour te défendre. Mais aussi d’armes que tu n’as pas encore
remarquées. Bon courage ! » Il
regarda sa cape, c’était tout ce qu’il avait de nouveau. Mais il
l’avait vue se transformer en un mur comme une tôle. Peut-être
qu’il n’avait pas compris ses propriétés. Le vent se fit de
plus en plus fort. Pour ne pas être aveuglé par la poussière, il
se cacha dans son vêtement.
« Maître !
Vous voilà ? » S’écrièrent les étoiles grises.
Il
regarda dans la fente de l’ouverture de sa nouvelle tente. Un homme
de haute stature remarquablement habillé le regardait. Il était
vêtu d’un pourpoint pourpre avec des parements de cuir gris et
argent, un haut de chausse noir qui s’enfilait dans d’immenses
bottes à écailles de dragon luisantes et gris foncé.
Un
autre homme sur cette planète ? En rouge ! Le spectacle
était incroyable. Ce ne pouvait qu’être un ami ! Il allait
le libérer, c’était évident. Il se sentit immensément soulagé.
– Alors
Prince, vous voilà aux prises avec ces deux coquines ?
La
voix était amicale. La petite voix s’était trompée, il ne
risquait rien.
– Bonjour,
répondit l’enfant, elles ont voulu me faire une farce !
– Je
vois ! Qu’a-t-il fait, pour que vous le mettiez en cage ?
– Maître,
dit l’une, il nous dit que l’on ne nous reconnaît pas !
– Mais
voyons, on vous connaît partout, mais en ce moment votre réputation
est surtout grandissante sur Terre !
– Sur
Terre ? interrogea le Prince, vous connaissez ma Terre ?
– Eh
oui, dit Pullula en chantonnant, je répands le Choléra, le Sida, la
Malaria…Tu ne t’étais pas trompé, nous, les maladies on les
connaît sur le bout des doigts…euh…on les largue du bout de nos
branches…
– Mais
c’est horrible !
– Et
puis, dit Purpura, moi je t’arrange tout ça, je déclenche des
fièvres à réchauffer un troupeau de mammouths congelés, puis les
boutons suppurent et je les fais saigner, s’infecter, tout un
programme… J’organise la contagion. Il faudra que tu viennes
voir. C’est très marrant !
– Mais,
reprit Pullula, aujourd’hui, ils n’ont plus aucune défense
immunitaire, c’est de plus en plus facile, cela va même devenir
lassant.
– Vous
dites cela pour m’impressionner, répartit l’enfant, je ne vous
crois pas.
– Maître !
Il ne nous croit pas, faites quelque chose, est-ce qu’on peut lui
essayer une maladie ?
– Laissez-le
tranquille, dit l’homme, cela suffit. Il est venu ici pour
apprendre, je vais m’en occuper.
– Prince,
vous allez venir avec moi.
– Mais
je suis enfermé !
L’homme
tendit la main et les branches s’écartèrent.
– Merci.
Où allons-nous ?
– Nous
retournons au palais.
Swen
lui emboîta le pas.
– Au
palais ? Mais alors mes parents y sont ?
L’homme
ne répondit pas.
– S’ils
n’y sont pas, je n’y vais pas…
L’homme
aux yeux de braises se retourna.
L’enfant
s’était arrêté de marcher. Il fit mine de s’en retourner.
– Viens.
Il le faut. J’ai besoin d’un Prince avec moi, je n’ai pas eu la
chance d’avoir d’héritier.
– Je
cherche mes parents et seulement eux…
Il
ne put finir sa phrase, une cordelette translucide saisit ses deux
poignets et les lia. Puis elle alla comme un serpent ondulant dans
l’air, jusque dans la main de l’homme.
Encore
une diablerie ! Quel maudit homme était-ce ?
– Tu
ne veux pas, mais tu y es obligé. Tu vas me suivre.
Il
chercha à tirer sur la corde pour se sauver mais elle devint
incandescente et lui brûla les poignets.
Il
hurla et arrêta de tirer.
– Te
voilà revenu à de meilleurs sentiments ? Suis-moi sans faire
de difficultés et il ne t’arrivera rien. Je ne te veux aucun mal.
C’est
tête baissée qu’il avança, suivant ce curieux Maître, dont il
était désormais le prisonnier de marque. Il s’en voulait
terriblement.
– Voyons,
ne fais pas cette tête-là ! lui dit l’homme en souriant. Si
tu ne faisais pas la mauvaise tête, tout irait tout seul. Je te
prépare un bel avenir, comme le mien. N’ai-je pas l’air
heureux ? Et puis, poursuivit-il, tu vas découvrir le monde
des merveilles et je te ferai voir le futur. Ici nous préparons la
Terre de 2200 ! Tu pleures ? C’est le problème de tes
parents ? Cela peut s’arranger.
– Je
pourrai les voir ? demanda subitement l’enfant en relevant la
tête et en reniflant.
– Les
voir ? Oui, bien sûr. Mais plus encore : les venger !
– Les
venger ? On leur a fait du mal ?
– Évidemment
assassiner quelqu’un, c’est lui faire du mal !
– Mais
on m’a dit que c’était un accident ?
– Et
bien, on t’a menti parce que tu étais un enfant. On ment toujours
aux enfants, car on les croit incapable de comprendre, alors qu’ils
comprennent parfois mieux que les adultes. Leur intuition est très
développée.
– Mais
alors ? Un jour, tous les adultes seront transformés en
ressorts ?
– Toi,
tu as rencontré Méhério ! En fait cela dépend du niveau de
mensonge. Si c’est le mensonge par peur, il est un peu excusable.
Si c’est le mensonge pour faire du mal, là effectivement le risque
est grand, en rencontrant la sirène, de subir un mauvais ressort !
Et il éclata de rire.
– Vous
pouvez me détacher, je ne m’enfuirai pas, je vais avec vous.
– Alors
auparavant, regarde bien où nous sommes.
Il
fit un large geste de la main gauche pour désigner les côtés du
chemin et puis un geste vers l’arrière. À droite, un gigantesque
incendie était apparu. Le Prince se recula de frayeur et serait
tombé si son compagnon ne l’avait pas retenu. Une muraille d’eau
écumante et furieuse s’élevait en mugissant, à gauche. Derrière
eux, un dragon aux naseaux fumants piaffait. À la fois effrayé et
admiratif, il détaillait la bête. Ainsi un dragon n’était pas
gris noir comme le cuir des bottes de cet homme ! L’écailleux
avait une peau moirée entre le gris profond et un argent
transparent. C’était magnifique. Dommage qu’il soit aussi
monstrueux avec ses narines crachant de la fumée et ses yeux
rougeoyants ! « Viens ! » L’homme
était sur le dos de la bête et lui tendait la main. Il lui avait
semblé voir le dragon nu, sans selle, sans cavalier, et puis l’homme
à ses côtés. Mais sans avoir rien observé, par il ne savait quel
miracle, la scène avait subitement changé. Cet homme devait être
un magicien.
L’enfant
était fasciné. Il se retrouva assis devant lui sur une selle de
cuir et de pierreries enchâssées, ornée de vives couleurs. Le
dragon s’envola. Regardant
ses poignets, il vit qu’il n’y avait plus de cordelette. Tournant
son regard vers le bas, il put observer qu’il y avait bien une
étendue de mer démontée et une fournaise, séparées par une
langue de terre menant à une lointaine embouchure de souterrain
bordant l’espace blanc. Le
dragon, sans ralentir, vola droit sur elle et s’y engouffra. Le
voyage dans le tunnel opalescent lui sembla une éternité, il
comprit que le tunnel plongeait vers les entrailles de la planète,
mais il se sentait protégé. L’atmosphère
changea, l’air lui sembla légèrement soufré, le sol était
devenu incandescent, pourtant le dragon se posa, car ils venaient de
pénétrer dans un espace gigantesque aux voûtes translucides
luminescentes. Partout
des dragons attendaient un départ éventuel. Des palefreniers aux
livrées grises et argent, s’affairaient. L’animal sans hésiter
atterrit sur une place d’où partait un chemin d’or. Un jeune
homme aux yeux pourpres s’inclina profondément et d’un geste fit
apparaître un escabeau presque transparent, puis les aida à
descendre. Les abords du tapis d’apparat s’étaient emplis de
personnages au regard rouge. Une ovation monta lorsque le Maître des
lieux le désignant s’exclama : « Voici
notre petit Prince. Voici mon fils ! » D’une
main ferme il l’entraîna. La foule des courtisans s’inclinait
comme les pétales d’une anémone de mer au passage des poissons.
Il
n’était pas son fils et ne voulait pas l’être, mais comme il
lui fallait retrouver ses parents, il décida de ne rien dire et
suivit sans discuter. D’un seul coup il prit conscience de la
bizarrerie ambiante. Chez les sirènes, toutes avaient une queue
bleue. Ici, ils avaient tous les yeux rouges, mais d’un rouge plat.
Même une tomate d’hiver avait plus de vibration dans la couleur.
Seul le Maître avait un regard étincelant et vivant. Mais lui, en
entrant ici, ses yeux avaient-ils changé de couleur ? Comment
savoir ? Il n’avait pas de miroir, il ne voyait d’eau nulle
part…aucun objet réfléchissant, même pas une lame, ni une arme !
Quelque part ce qui le troublait, c’était la petite phrase qui
dansait au fond de lui : « Souviens-toi, les yeux sont le
miroir de l’âme. » Ainsi, ici, les gens avaient été privés
de leur âme ? Leur énergie suprême était-elle morte ?
Pourtant, ils vivaient, ils criaient, ils applaudissaient, ils
avaient même des rires sardoniques. Quel monde troublant ! Qui
avait pris leur âme ? Où l’avaient-ils perdue ? Le
Maître savait forcément, et puisque ses rapports avec lui étaient
acceptables, il poserait la question. Plongé
dans ces inquiétantes réflexions, il ne vit même pas qu’ils
changeaient d’univers.
L’homme
lui demanda son avis :
– Par
quoi commence-t-on ? Qu’est-ce qui te ferait plaisir ? La
pouponnière de dragons ?
– Oh
oui ! Mais ils ne sont pas dangereux ?
– Mais,
tu es avec moi, voyons, tu ne crains rien ! Et puis quelqu’un
t’a-t-il fait du mal depuis que tu es arrivé ici ?
– Non,
pas vraiment.
Il
regarda ses poignets, il n’y avait aucune trace de brûlure.
N’était-ce qu’une illusion ?
– Regarde
la baie vitrée, là, à droite.
L’étrange
muraille devenait transparente, jamais sur terre n’avaient pu être
construites de semblables surfaces de verre. La résistance du
matériau n’allait pas jusque-là ! Il voyait un laboratoire
où toutes les surfaces étaient opalescentes. Des instruments
bizarres qu’il n’avait jamais vus semblaient flotter. Des
personnages en combinaisons intégrales, sans aucune couture
apparente, leur donnant l’apparence de blocs de silicones
translucides, semblaient très occupés. Il ne comprenait rien à ce
qu’ils faisaient.
Il
mit ses mains contre cette étrange paroi. C’était très dur.
Pourtant on aurait dit qu’elle n’existait pas : on voyait à
travers, avec une clarté que le verre n’avait jamais offert.
– Bienvenue
dans ce que vous appelez sur terre, le monde des hyper technologies !
dit l’homme en souriant. Regarde.
Il
posa sa main bien à plat sur la mystérieuse paroi. Elle disparut.
Ils pouvaient passer. Au moment du passage, il se sentit recouvert
d’une seconde peau. Il regarda ses mains, ses pieds, il était
habillé comme tous les employés du laboratoire. Son compagnon
aussi.
– Sur
Terre, vous parlez d’immatériel, dit l’ombre blanchâtre à ses
côtés, mais vous vous trompez, l’immatériel c’est comme la
paroi par laquelle nous venons de passer et non pas quelque chose qui
ne peut se concrétiser. Car tout est vibration et tout peut se
matérialiser. Vous n’avez rien compris à la matière…
Le
jeune garçon ne saisissait pas vraiment. Intuitivement il
pressentait qu’il allait au devant d’étranges découvertes.
– Viens,
fit l’homme, ne les dérangeons pas, ce qu’il y a ici est très
peu intéressant, ce sont déjà des biotechnologies du passé, juste
un peu plus avancées que celles de la terre.
Ils
traversèrent l’immense espace, d’un pas rapide. Une autre paroi,
blanche celle-ci, les laissa passer. Un spectacle hallucinant
s’offrit à ses yeux. C’était la nursery. Sur des espaces
surélevés, étaient entreposés des cocons lumineux ou des
demi-cocons immaculés. Dans ces derniers de minuscules dragons
miniatures recouverts de duvet, gigotaient. Le jeune Prince se sentit
tout ému à la vue de ces nouvelles peluches. Il tendit la main.
– Non !
dit l’homme en blanc. Pas maintenant ! Lorsque tu seras
intronisé comme mon fils, tu viendras en choisir un dont tu auras la
responsabilité. Il deviendra un ami fidèle pour toi et, comme le
mien, obéira à tes moindres désirs. Mais en toucher un, c’est
déjà lier ton destin au sien : s’il ne devient pas tien, tu lui
auras fait beaucoup de mal et tu t’en seras fait à toi. On ne t’a
pas appris cela ? On ne prend pas un animal qui vient de naître,
sauf si l’on est prêt à en assumer la responsabilité.
L’enfant
se dit que décidément cet homme avait du cœur, sous ses dehors
apparemment durs. Il méritait son respect.
Ils
continuèrent leur chemin et pénétrèrent un grand couloir qui
bordait une salle entièrement visible où quantités de petits
dragons s’ébattaient. Des pages en livrée les faisaient jouer. Il
fut pris d’une envie subite, il y avait si longtemps qu’il ne
s’était amusé ! Et puis, en fait, il n’avait jamais eu
l’occasion de jouer ainsi. C’était vraiment trop drôle.
– Je
veux y aller !
Il
plaqua prestement la main sur la paroi transparente. Rien ne bougea.
L’homme se mit à rire.
– Tu
n’es pas intronisé, tu n’as aucun pouvoir sur la matière.
– Mais
après… ?
– Oh !
Après, tu pourras venir ici jouer tant que tu voudras, pour peu que
tu respectes ton apprentissage…
L’enfant
se dit que la vie allait avoir du bon. Il éprouva une joie intense.
– Allons
au palais maintenant. Il faut que tu voies ce qui est arrivé à tes
parents.
La
joie disparut et fit place à une angoisse indicible. Comme s’il
l’avait senti, l’homme le prit par la main. Une douceur chaude
l’envahit. La peine disparut instantanément. C’est quasiment
anesthésié qu’il arriva dans une salle dont le sol incandescent
mais froid, éclairait des parois noires. Au centre, des fauteuils
profonds les attendaient. Il lui fit signe de s’installer et
s’allongea plus qu’il ne s’assit, mollement, dans ces sièges
quasiment vivants.
Dès
que l’enfant fut assis, le fauteuil se coucha et l’enveloppa
d’une douce chaleur presque imperceptible. Il était exactement à
la forme de son corps.
« Nous
allons revoir ce qui s’est passé lors de la disparition de tes
parents. Regarde bien le plafond. » La
tête levée, il vit le plafond et les murs former une sphère
allongée et s’illuminer doucement. Puis
il se sentit transporté. Il voyait la terre approcher. Il reconnut
son pays, puis sa ville, enfin il eut l’impression de pénétrer
dans le palais. Effectivement, il se trouvait maintenant dans une
chambre. Sa mère était penchée sur un lit d’enfant où dormait
une petite tête argentée. Il comprit que c’était lui. Elle se
releva et se tournant vers un homme très grand, athlétique, à
l’air très ferme mais bon, lui dit :
– Il
dort profondément. Nous pouvons passer à côté.
Il
les vit alors s’installer dans une grande salle auprès d’une
grande cheminée où flambait un feu joyeux. Au mur, de très grandes
tapisseries anciennes représentaient des scènes symboliques. Il
connaissait cet endroit. Derrière elles, se dissimulaient des
portes.
– Ma
mie, nous courons un très grand danger. Mon service d’information
a découvert un complot terroriste. J’ai demandé que l’on
surveille ces gens, mais le réseau est très étendu, aussi est-il
prématuré de les arrêter.
– Mais
sais-tu ce qu’ils veulent ?
– Je
pense qu’ils sont mandatés par ceux qui veulent un pouvoir
universel.
– C’est
pure folie, le pouvoir ne peut être universel dans le monde
temporel.
– Nous,
nous le savons, mais d’autres pensent qu’ils peuvent l’atteindre.
Il y a bien longtemps qu’ils ont commencé d’empoisonner la
planète sans vergogne. Car leur but est ailleurs. Il leur faut
piller, s’enrichir et partir. Nous, avec ce que nous mettons en
place, nous ne sommes que des gêneurs.
– Tu
veux dire qu’ils veulent nous…
– Oui !
Mais bien que j’aie pris des dispositions car nous ne sommes pas
les seuls en danger, le risque est très grand, et il semble se
rapprocher.
– Alors,
il faut protéger Swen !
– C’était
ce que je voulais t’entendre dire.
Le
Roi appuya sur un bouton de sa montre. La tapisserie s’écarta, le
Grand Intendant entra et les salua tour à tour.
– Tout
est prêt ? demanda le Roi.
– Absolument
Majesté, le Prince dort-il profondément ?
– Oui,
vous pouvez venir.
La
Reine vit alors entrer le médecin accompagné de Richard poussant un
étrange appareil. Ils traversèrent la salle et passèrent dans la
chambre. Ils commencèrent à déployer le matériel et à le
brancher.
– Qu’est-ce
que c’est ? demanda la Reine.
– Un
scanner très spécial. Il va prendre la mesure millimétrique en
trois dimensions du corps de Swen dans son lit et sans le réveiller.
D’ici deux heures à peine, nous aurons une restitution très
fidèle de notre enfant, en volume et en aspect, même le toucher et
l’odeur, sauf que ce sera une copie inerte… Nous saurons dans
très peu de temps si le modèle est parfait.
– Alors ?
demanda la Reine.
– Et
bien, dès cette nuit Swen sera parti en nourrice dans un endroit
introuvable, Irina va partir avec lui et s’en occupera. Nous le
reprendrons lorsque cela ira mieux.
– Dès
cette nuit ? interrogea la jeune Reine qui ne put réprimer deux
grosses larmes. On ne peut pas attendre la nuit prochaine ?
Le
Roi posa doucement sa main sur la sienne.
– Moi
aussi, tu sais, j’ai de la peine, mais il le faut. Ils n’hésiteront
pas à le tuer. Notre peine serait alors bien plus grande, et son
destin ne pourrait s’accomplir. Il le faut.
– C’est
arrivé si vite, souffla-t-elle.
– Ils
n’hésiteront pas un seul instant, tu sais bien qu’il est le seul
espoir…
– Bien
sûr, approuva-t-elle subitement résignée. Mais j’irai le voir
lorsqu’ils seront sortis, ils vont le réveiller…
– Non,
ils ne le réveilleront pas, sois sans crainte.
Il
s’écoula un moment, puis le médecin revint suivi du savant.
– C’est
dans la boîte ! Maintenant il ne faut pas y aller avant que
nous soyons revenus.
– Mais
pourquoi ? demanda la Reine.
– Majesté,
j’ai mis l’enfant sous hypnose dans son sommeil. C’est
dangereux. Personne ne doit prendre le risque de l’éveiller
brutalement, les désordres seraient irréparables.
– Vous
avez fait quoi… ? s’exclama-t-elle très choquée.
– Il
n’y a pas de risques, dit le Roi, sauf si quelqu’un y allait
maintenant.
– Mais
il est si petit…
– Ne
vous inquiétez pas Majesté, ce ne sera pas long, affirma le
médecin.
La
scène changea. Le
médecin entra dans la grande salle avec le sosie.
– Beau
travail, apprécia le Roi. Maintenant dépêchons-nous. Vous pouvez-y
aller.
La
Reine se pencha sur ce double.
– Comme
c’est troublant ! Regarde…
Il
retint son épouse par le bras.
– Mais,
je veux le prendre dans mes bras, protesta doucement la Reine.
– Oui,
mon aimée, dans quelques minutes, ils te l’amèneront, le vrai.
Notre enfant. Ne crains rien. Tu pourras l’embrasser avant qu’il
ne parte.
Dans
la chambre une atmosphère étrange régnait. Le médecin penché
au-dessus du lit parlait doucement à l’enfant.
– Swen,
écoute-moi. Nous allons t’emmener là où tu seras en sécurité.
Nous allons te soulever, te mettre dans les bras d’Irina, ta maman
va t’embrasser. Tu ne bougeras pas, Swen, Tu continueras à dormir.
Tout le long du trajet tu dormiras. Tu te réveilleras seulement
lorsque j’appuierai sur le dos de ta main. Comme quand je t’ai
endormi.
Il
souleva l’enfant, le recouvrit de sa couverture, le plaça dans les
bras d’Irina qui quitta la pièce. Les techniciens mirent alors le
sosie à sa place. Le médecin posa sur la table de nuit une très
petite seringue qu’il vida sur un coton. Il mit le coton dans sa
poche et en mit un autre sur la table qu’il imbiba de désinfectant.
Puis il posa à côté la boîte ouverte du produit. Ils sortirent.
Les
tentures s’écartèrent. Il vit Irina entrer, suivie de Richard
portant le petit Prince endormi. La Reine se pencha sur l’enfant et
l’embrassa doucement. Le Roi retint son geste. Elle voulait le
prendre encore une fois.
– Non,
fit-il doucement, nous ne pouvons pas. Même moi, je ne puis le faire
malgré mon envie, dit-il tristement. Allez-y Irina, et protégez-le,
nous avons confiance en vous. Que Dieu vous garde, vous et notre
petit.
– Majesté,
dit le médecin avant de sortir, ne touchez pas à ce qu’il y a sur
la table de nuit près du berceau. C’est intentionnel. Demain et
pendant deux jours, interdisez à votre personnel l’accès de la
chambre.
– C’est
donc si proche ? interrogea la Reine en regardant le Roi.
– C’est
imminent. Mais ne t’inquiète pas, nous sommes bien protégés.
C’est une mesure de sécurité sûrement excessive, mais je
préfère.
– Qu’allons-nous
faire ?
– Nous
devons nous éloigner chaque nuit et aller dormir ailleurs en
laissant « Swen » sous bonne garde. Nous allons prendre
ce dont nous avons besoin. Viens.
La
scène s’effaça. L’écran devint blanc. La salle reprit son
aspect. Swen pleurait.
– Tu
es en sécurité avec moi, dit son compagnon doucement.
Swen
se mit à sangloter. L’homme
posa sa main chaude sur la sienne. Les larmes s’arrêtèrent.
– Mais
je veux connaître la suite, dit alors l’enfant.
– Tu
es sûr ?
– Je
« veux » savoir, répondit-il en appuyant sur le verbe.
– Bien.
Comme tu voudras. Mais tu pleures déjà, il te faut t’aguerrir, tu
sais, sinon tu ne pourras rien faire pour les venger.
Il
regarda le plafond. L’écran s’illumina à nouveau. Ils
virent alors le couple royal s’habiller de vêtements ordinaires et
de manteaux sombres. La Reine se pencha alors sur le lit et ne put
s’empêcher de poser un baiser sur le front du sosie. Prenant un
sac de voyage plein, ils partirent par une porte dérobée, suivis
juste de leur écuyer lui aussi déguisé. Une chambre les attendait
dans les communs du palais.
Le
lendemain très tôt, le Roi éveilla son épouse et ils revinrent à
leurs appartements. Ils avaient gagné une nuit. La
Reine demanda que l’on fasse venir le médecin : le jeune
Prince était malade. L’accès aux appartements royaux fut donc
interdit pour cause de contagion, et l’enfant dut garder la chambre
avec sa nourrice. L’après-midi,
pour le couple royal, une cérémonie officielle était programmée.
La limousine décapotable fut avancée. Le Roi ne reconnut pas quatre
de ses six gardes du corps. Il demanda à son chauffeur d’actionner
le bouton de fermeture du toit. Puis il se tourna vers l’officier
qui dirigeait sa garde :
– Capitaine,
qui sont ces hommes ? Pourquoi mes gardes habituels ne sont-ils
pas là ?
– Majesté,
je suis désolé, ils sont absents. Un malheureux concours de
circonstance. Le premier a perdu sa mère, le second a eu un
accident, il a la jambe cassée. Le troisième a dû emmener son
enfant en urgence à l’hôpital. Du quatrième nous n’avons pas
de nouvelles, mais j’ai diligenté immédiatement une enquête, car
il ne répond à aucun appel. J’en ai choisi quatre autres qui sont
aussi champions olympiques de tir ou de combat.
– Bien,
alors allons-y, dit le Roi subitement très inquiet.
La
voiture démarra. La
Reine vit alors son époux sortir son arme de poing.
– Mais,
tu es armé !
– Je
crois que par les temps qui courent, c’est nécessaire. Un sabre
d’apparat, c’est insuffisant !
Lorsque
la voiture traversa la Seine par le pont Alexandre III, ils
entendirent deux fortes explosions. Le véhicule fut entouré de
fumée. La portière s’ouvrit, le capitaine tira le Roi par la
manche pour l’aider à sortir.
– Vite,
le pont est endommagé, il peut basculer dans l’eau d’un instant
à l’autre ! Il faut courir à la voiture de devant qui est
passée. Ça va aller. Je vous couvre.
Il
se pencha pour aider la Reine. Le Roi vit alors l’un des gardes
menacer le chauffeur d’une arme. Il avait bien fait de sortir son
arme ! Il visa. L’homme s’effondra. Il se retourna alors
pour protéger son épouse, lorsqu’il tomba à son tour,
mortellement blessé. Le capitaine bascula aussi une balle en pleine
tête.
Swen
entendit sa mère hurler.
Un
homme se précipita sur elle, pour la protéger. Il n’en eut pas le
temps, il s’affala lui aussi, à ses pieds. Un autre la bouscula,
puis la menaçant de son arme l’amena au bord du pont dont la
rambarde s’était abîmée dans l’eau. Il lui asséna un violent
coup de crosse à l’arrière de la tête. Le corps tournoya et
resta accroché juste au bord du vide. Il la poussa d’un violent
coup de pied. Le corps de la Reine disparut dans le fleuve. Cela
n’avait certainement pas duré plus d’une minute et demie.
Le
jeune Prince était tétanisé. Il lui était impossible de sortir
une larme.
– Je
suis désolé, dit l’homme aux yeux de feu. C’est bien toi qui as
insisté…
– Je
veux voir qui a fait cela, qui a décidé de ce meurtre !
– Mais
voyons, ceux qui ont pris leur place ! C’est très simple !
– Je
veux voir… On peut ?
– Non,
pas maintenant, ce serait trop long. Il faut que tu te reposes.
C’était éprouvant. Tu es très fatigué. On va te conduire à ta
chambre, une collation t’y attend. Tu vas déjà dormir. Quand ça
ira mieux, on en parlera. Allez !
Il
prit doucement l’enfant par les épaules et le poussa vers son
écuyer qui l’emmena dans ses bras.
Le
sommeil fit son office. L’homme qui voyageait dans les cauchemars,
observait. La première phase de sommeil de l’enfant était très
agitée. Il se mit à crier, pleurer. Puis un semblant d’accalmie.
Dans la phase de sommeil profond, l’homme réinjecta la scène de
l’assassinat. L’enfant fut pris de soubresauts. Il gesticulait
dans tous les sens. Des gestes qui prirent forme d’assauts violents
envers un ennemi invisible. Puis il chercha les coupables et finit
par les trouver. Enfin il se voyait devant les commanditaires du
meurtre de ses parents qui venaient d’être faits prisonniers. Il
était devenu le Roi, il pouvait tout faire. Une immense jouissance
le submergeait à chaque fois qu’il en torturait un. Chaque geste
déclenchant des hurlements chez l’autre compensait en lui une
souffrance d’origine. Chaque
fois que la mort intervenait cela semblait l’apaiser. Puis
cela le reprenait. Le réseau qui avait été démantelé était
important, il n’en finissait plus d’infliger des tortures de plus
en plus raffinées, de les faire mourir à petit feu les uns derrière
les autres.
Lucifer
se dit que cela suffisait. Il avait imprimé par la répétitivité
des scènes de violence, une profonde envie de vengeance dans son
cerveau. Il le savait, rien ne pourrait plus l’arrêter, ce
faisant, elle s’accompagnait d’une qualité luciférienne :
la cruauté. Il
fit un geste. L’enfant se calma. La
dernière phase de sommeil fut extrêmement réparatrice.
Le
Prince s’éveilla avec un certain bonheur, se demandant où il
était. Les murs de la chambre étaient décorés de dragons en train
de jouer, un autre, sellé, le portait, lui, comme cavalier. Il se
rappela. En s’approchant d’un mur, les scènes se mirent à
vivre, comme à la télévision. Son dragon se retourna. Il se vit de
face. Comme il avait fière allure dans son costume argent aux
parmentures rouge vermillon et ses bottes de dragonnet ! Il
agita la main en éperonnant son dragon qui salua. Swen
vit alors qu’il avait des yeux flamboyants. Il
se sentit légèrement inquiet. Quelqu’un
l’avait déshabillé et revêtu d’un drôle de pyjama avec des
ailettes de dragons sur les côtés de la culotte, et des impressions
de dragons qui se couraient après en soufflant de petits nuages. Il
avisa ses vêtements de jour sur un siège, fouilla les poches du
pantalon : la bourse était là. Sous la veste, la gourde bien
remplie, et puis la cape. Sur
un mur, il y avait un rideau sombre. Il l’écarta. Un miroir !
Il se regarda : Ses yeux étaient bien bleus. Il se sentit
rassuré. Il alla chercher la cape et la plaça sur ses épaules. La
petite étoile côté cœur l’intriguait. Il appuya dessus en se
demandant ce que faisait l’homme de la veille. Il se vit
disparaître de la glace. Et se retrouva dans une salle incroyable.
L’homme était assis sur un trône aux allures confortables et
faisait face à un homme plus jeune vêtu de noir aux yeux rouge
foncés, un regard sinistre et terriblement dur.
– Majesté,
dit celui-ci, quand introniserons-nous le Prince ? Il ne faut
pas tarder. Est-il prêt ?
– Presque.
Mais c’est drôle, je le sens comme s’il était ici !
Swen
se sentit très mal et souhaita n’avoir pas bougé de devant le
miroir avant de disparaître. Il réapparut devant le miroir juste au
moment où la porte s’ouvrit. Il s’aperçut alors que l’étoile
de la cape avait, elle aussi, disparu.
– Alors ?
On fait des essais de vêtements devant la glace, fiston ? Tu en
auras de tellement plus beaux que tu pourras reléguer cette cape aux
oubliettes ! Comment te sens-tu ?
– Très
bien, mais j’ai faim…
– Ah !
Quelle bonne nouvelle ! On va satisfaire ta gourmandise !
Olah ! Un buffet du matin pour le Prince !
Instantanément,
un extraordinaire buffet apparut. Il y avait tout ce qu’il aimait,
tout ce que sa nounou lui défendait de manger. De la pâte de
chocolat aux noisettes et aux amandes, des petits pains sucrés juste
grillés à point, des bonbons mous multicolores, et des jellies fluo
qui avaient la forme de dragons. Sitôt qu’il voulut en prendre un,
le bonbon sortit ses yeux et ses ailes et s’anima, puis il se mit à
courir et à voler. Au fur et à mesure qu’il tendait la main vers
les bonbons, ils filaient ventre à terre.
– Mais
si tu en veux vraiment un, il faut l’attraper ! dit l’homme
en riant.
On
lui avait appris à déjeuner sagement assis à table, proprement
avec une serviette autour du cou. Mais là, d’un seul coup, le
petit déjeuner était un jeu. Un enjeu.
– Mais
vas-y ! Tu n’oses pas ? Tu ne connais aucun tour ?
Je vais t’aider. Dragons, poursuivez-les ! ordonna-il en
passant la main devant son pyjama.
Les
dragons désertèrent le tissu et dans une course folle poursuivirent
les bonbons. Ceux-ci se rebellèrent et firent front. La bataille
s’engagea. L’enfant n’avait jamais vu cela, ses yeux allaient
de son pyjama au plafond, et du plafond au pyjama. Mais les dragons
du textile perdaient la bataille et revenaient frileusement se coller
au tissu, comme pour être protégés.
– Ah !
Fiston, tu es en train de perdre ! Mais tu ne les as même pas
encouragés ! Attends, je vais arranger cela. Appelle Mino,
dit-il au jeune homme au regard rouge sombre qui venait d’entrer.
L’homme
passa à travers le miroir et revint avec un dragonnet à l’air
malicieux.
– Lui,
il va tout manger, il mettra tout le monde d’accord !
Le
dragonnet se jeta sur le buffet. Tous les bonbons prirent leur envol.
Il se mit alors à les poursuivre. Swen se mit à rire. Il voyait
l’animal gober les taches de couleurs les unes derrière les
autres. Quand il eut attrapé la dernière, il fonça sur le buffet
et attrapa le pot de chocolat aux noisettes et aux amandes.
– Eh !
Pas ça, cria l’enfant, laisses-en moi ! C’est à moi…
Il
se précipita, mais la bestiole partit vers le plafond avec son butin
qu’il se mit à chauffer avec le feu de ses naseaux. Puis il
renversa le pot qui se déversa sur le buffet tartinant les petits
pains du chocolat tiède.
– Mais
c’est très gentil ! remercia le Prince en s’emparant d’une
tartine odoriférante.
Des
petits déjeuners comme ça, chez lui, c’était impossible,
l’Intendant disait que même les chiens du Roi n’avaient pas le
droit d’assister aux repas. Et puis son précepteur en aurait fait
une tête ! Il avait été élevé dans les règles.
– Il
est vraiment sympa avec toi, constata l’homme en noir, il pouvait
tout manger et ne rien te laisser…
Quand
les agapes furent terminées, le dragonnet, le ventre ballonné,
avait les yeux qui papillonnaient.
– Il
va falloir dormir pour digérer maintenant ! dit Lucifer en
riant. Va te coucher, Mino.
– Je
peux le caresser ?
– Oui,
tu le peux, si son maître t’y autorise.
Le
jeune homme acquiesça, réticent.
L’enfant
alla vers le dragonnet qui se mit à ronronner bruyamment sous
l’effet des caresses.
– Bien,
cela suffit, reprit le Maître des lieux, tu vas te préparer,
Thanatos va te faire visiter les lieux, et puis vous me rejoindrez
pour préparer l’intronisation.
Le
jeune homme fit passer le Prince dans une salle d’ondes qui
dépendait de la chambre. En un instant il se sentit propre comme un
sou neuf et comme parfumé discrètement.
– Oh !
C’est formidable, fit l’enfant. C’est agréable…
– Bon,
habille-toi maintenant, je reviens dans une seconde.
Quand
il réapparut, le Prince était vêtu de pied en cap.
– Pas
besoin de ta cape, il fait chaud ici, dit-il en la lui enlevant. Et
puis cette gourde non plus, fit-il en riant de son sourire
carnassier. Tu n’auras pas soif. Viens.
– Tu
es qui, toi ? demanda l’enfant.
– Je
suis son cousin. Et j’administre les lieux.
– Il
n’a pas le temps de le faire ?
– Ici,
il n’y a pas de temps, même si tu as cette impression. Et le
maître doit s’occuper de la re-création du Monde.
– Pourquoi ?
Puisqu’il existe ?
– Pas
pour longtemps, il va falloir le repeupler. Je vais te montrer.
Ils
passèrent à nouveau par la salle aux fauteuils profonds. Une fois
installés, Thanatos les projeta dans l’univers en direction de la
Terre. Ils approchèrent d’une immense ville aux forêts de
buildings émergeant d’un dôme de pollution, puis s’enfilèrent
dessous dans des souterrains très gardés. Ils finirent dans un
espace très blanc comme celui du laboratoire du Maître mais
beaucoup moins en avance. Les employés ouvraient les portes par
reconnaissance d’empreintes variées. Les murs ne s’effaçaient
pas. Les surfaces vitrées semblaient ordinaires, les paillasses
étaient carrelées et se salissaient. Bien qu’il entende une
langue normalement incompréhensible pour lui, il saisissait tout, y
compris leurs intentions. Ils préparaient des ADN à inoculer à des
cellules. Il y en avait des millions de répertoriés. Il comprit
qu’ils n’essayaient pas de recréer la biodiversité perdue de la
planète, mais la leur propre. Ils voulaient créer un équilibre qui
leur convienne.
Ils
rejoignirent une salle de réunion immaculée où des gens, en
combinaisons blanches, examinaient des projets.
– Alors
Monsieur Xin-Ghu, qu’a donné l’apport des trois ADN sur cet
enfant ?
– Et
bien Monsieur le Président, pour l’instant ce n’est pas
brillant. Comme vous le verrez lors de la visite, nous n’avons pas
les résultats escomptés. Il y a des interactions que nous ne
comprenons pas. Nous allons essayer sur un autre.
Le
Prince se sentit mal.
– Mais,
ils sont fous ? dit-il alors à Thanatos.
– Ce
sont des scientifiques, ils essayent, testent…parfois réussissent,
mais trop rarement par rapport à la quantité d’expériences
réalisées. Regarde, nous en parlerons après.
Ils
virent les hommes quitter la pièce et les suivirent dans un espace
où étaient aménagées des logettes fermées par des grilles. Dans
chacune, un matelas, un cube de plastique un peu souple qui pouvait
servir de table, de siège ou de rangement, un lavabo et un WC
encastrés dans le mur. Ils passèrent devant une dizaine de logettes
vides. Puis soudain dans l’une d’elles, un enfant à quatre
pattes, bavant et menaçant, vint à leur rencontre.
– Vous
voyez, Président, le gène Z4 n’a pas eu du tout l’effet voulu,
est-ce la collusion avec le T5 qui par ailleurs marche pourtant bien,
où avec le U6, ou encore est-ce l’association des trois ?
C’est loupé. Cela a donné de la violence, un effet similaire à
la rage. Nous aurions dû avoir la résistance au froid, des défenses
immunitaires infranchissables, et la maîtrise totale des instincts.
– En
effet, répondit l’homme. Vous pouvez le piquer. Gardez le cerveau
et étudiez-moi cela que l’on comprenne. Il y a assez d’enfants
en réserve ?
– Oui,
pour l’instant. Mais en trouver ne pose aucun problème. Il y en a
énormément à vendre sur le marché.
– Bien,
alors il faudrait essayer d’autres gènes : le G8 pour les
rendre dociles comme des moutons, le X666, pour en faire des tueurs
obéissants. Voyez aussi comment les rendre résistants à la
dépression et comment supprimer toute émotion. Il faut faire vite
maintenant.
Thanatos
regarda son petit voisin. Les yeux horrifiés, l’enfant se
demandait si ce qu’il avait vu pouvait être vrai. La sphère écran
s’éteignit.
– Si
c’est vrai, il faut empêcher cela ! cria-t-il.
– En
fait ce que tu as vu, ce sont des essais que nous leur laissons
faire. Tu sais de tout temps, sur ta planète, il y a eu des
essais…En fait on les leur suggère ! Les guerres, les vols
spatiaux sont aussi des territoires à essais scientifiques. Ceux-là
où d’autres…quelle importance ! Nous, on les trouve
comiques, parce qu’ils se loupent.
– Tous
les scientifiques ne sont pas ainsi…
– C’est
ce que tu crois ! Ils sont bien intentionnés, voyons, c’est
pour sauver leur espèce. Pour cette urgence, tout est permis. Viens,
maintenant, il faut que tu voies comment nous, nous envisageons de
recréer la biodiversité de la planète.
Ils
arrivèrent dans un autre espace tout blanc. Sur un mur, un
planisphère immense montrait l’extinction des espèces en cours. Il
suffisait de passer la main pour voir de nouvelles espèces
s’afficher et disparaître instantanément. Le tableau semblait
animé d’un pouvoir maléfique. Sur le côté droit les races
humaines étaient représentées avec des quotas en baisse tous les
cinquante ans. Sur le côté gauche la chaîne alimentaire avec
l’homme au-dessus.
– Comme
tu le vois, cela ne s’arrange pas. Ils sont victimes des
catastrophes planétaires, des changements de biotopes, de manque
d’eau, et surtout des épidémies…auxquelles ils ne savent plus
résister. De nombreuses espèces qui constituaient leur nourriture
se sont rendues toxiques par mutation pour survivre aux hommes. Quant
aux espèces végétales ou animales qu’ils ont créées eux-mêmes
par mutation génétique, elles ne comportent pas les bons éléments
nutritionnels, en fait ce sont des poisons à retardement. Mais le
temps qu’ils s’en aperçoivent… Et
il éclata d’un rire affreux. Puis il poursuivit :
– Ils
sont donc condamnés à disparaître.
– Je
croyais qu’ils voulaient changer de planète ?
– L’homme
a toujours cru en ses espoirs de richesse. Seulement ce n’est pas
lui qui gère le temps. Il se fait toujours prendre au piège.
Remarque, pour nous, c’est bien.
– Pourquoi ?
– Parce
qu’ils sont la matière de nos rêves les plus fous ! La
différence, c’est que nous, nous connaissons les secrets de la
matière. Tu sais, il faudra que tu apprennes les sciences, mais les
nôtres, car elles sont exactes. Tiens regarde de l’autre côté.
Sur
le mur d’en face, un autre planisphère montrait les espèces
survivantes. Puis dans de petits cercles, le nombre d’espèces à
réintroduire. Il y avait partout des figures géométriques qui les
reliaient entre elles par pays. Sur le côté gauche les espèces
humaines disparues. Il y avait une autre espèce étrange et encore
mal définie, sauf que les animaux avaient les yeux rouges et
marchaient sur deux pattes. Sur le côté droit dans la chaîne
alimentaire, l’homme apparaissait en sous-espèce, le nouvel
arrivant avait pris le pouvoir. L’enfant désigna l’être aux
yeux rouges :
– Il
n’existe pas sur terre. Je n’en ai jamais vu.
– Nous
sommes en train de le créer…Effectivement il n’est pas fini. Il
faut choisir la forme et la fonction des membres, il n’est pas non
plus fini au niveau interne.
– C’est
incroyable, mais comment s’effectuent ces choix ?
– La
planète est depuis longtemps notre champ d’expériences. Nous
observons tout ce qu’il se passe sur le plan animal et humain, et
nous agissons, nous testons.
Le
Prince resta silencieux. Il
fit même le vide dans son esprit pour n’être pas perçu. Thanatos
n’y vit que du feu. Peu
après, ils se retrouvèrent devant Lucifer dans la grande salle où
le Prince s’était déjà transporté par mégarde.
– Alors ?
Tu as vu l’ensemble des projets. On ne t’a pas montré les labos,
je crois qu’il est trop tôt.
– Thanatos
dit que les hommes sont une matière pour vous…
– Cela
a toujours été, mais je ne prends que les volontaires.
– Ah,
bon !
Le
Maître sourit.
– En
fait, poursuivit-il, on essaye d’en convaincre le plus possible.
Mais cela ne marche pas toujours.
– Méhério
m’a parlé du monde gris.
– Méhério
ne sait pas tenir sa langue… On ne peut rien faire avec le monde
gris, il est inaccessible et impénétrable. Même moi, je ne puis y
rentrer, ni en faire sortir quelqu’un. C’est dommage. C’est de
la perte sèche.
L’enfant
se dit qu’il y avait donc quelqu’un d’encore plus puissant que
lui.
– Elle
disait qu’il y avait un monde où la partie humaine des étoiles
qui s’étaient mal conduites, échouait. Alors de quel monde
s’agit-il ? reprit-il, curieux.
– Et
bien justement, c’est la matière dont nous parlons. Cela s’appelle
« le monde sombre ».
– On
peut le voir ?
– Non,
seuls les initiés peuvent s’en servir. Mais tu n’auras pas
longtemps à attendre. Tu vas aller te reposer d’abord. Puis tu
reviendras pour l’intronisation. Raccompagne-le à sa chambre,
dit-il à son écuyer. On ira te chercher plus tard, ajouta-t-il.
Arrivé
dans sa chambre il se mit sur son lit et fit semblant de s’endormir.
L’écuyer ressortit. Le môme se leva d’un bond, passa sa besace
et sa gourde autour de son cou, enfila sa cape, appuya sur l’étoile
qui était revenue comme par enchantement et dit : «Vite dans
la grande salle du Maître ! ». Instantanément,
il se retrouva au fond de la salle du trône. Lucifer eut un
mouvement des narines, un haussement d’épaules, puis il poursuivit
où il en était.
– Écoute
Thanatos, laisse-moi faire avec lui, je crains que tu ne sois trop
brusque. Là, tu y as été un peu fort. Je le veux pour héritier
quoi que tu en dises. Et puis, je ne veux surtout pas que ses parents
puissent le récupérer.
C’en
était trop, il fallait filer d’ici. L’enfant donna un autre
ordre intérieurement en visualisant l’espace à atteindre. « Dans
le tunnel d’arrivée. »
Il
se retrouva là où il avait souhaité. Le tunnel était désert. Il
se mit à courir.
Lucifer
se gratta l’oreille. Il entendait quelque chose. « Le tunnel
d’arrivée… » Qu’est ce que c’était que cette lubie ?
– Thanatos,
ramène-moi le Prince ! Vite !
Le
jeune homme en noir disparut puis réapparut.
– Parti !
– Vite,
à la salle des dragons, il est parti par là.
– Parti ?
Mais comment a-t-il fait ? Il n’est pas initié ! Ici on ne
peut pas sortir sans cela…
– Je
crois que nous l’avons sous-estimé. Il faisait semblant. Ah !
Il va falloir que je le dresse ! Il est sacrément doué…
Se
retrouvant instantanément dans la salle d’arrivée, ils
enfourchèrent deux dragons.
Pendant
ce temps là, le Prince essayait vainement d’aller plus vite mais
ce tunnel était sans fin. Alors il se mit sur la cape et lui dit
très énervé : « En tapis volant ! » Il avait
lu cela dans les Contes des mille et une nuits. Immédiatement, un
tapis translucide l’emmena à très grande vitesse. Il était
temps. Deux dragons arrivaient à la vitesse de la lumière. Il
filait devant poursuivi par les hurlements de Thanatos : « Reviens,
misérable poux, sinon je te fais la peau ! » Là,
les intentions étaient vraiment claires. Mais ils gagnaient en
vitesse. L’enfant prit dans ses poches les pierres et les serra
toutes à la fois dans ses mains en priant qu’on lui apporte la
solution. « Calme-toi,
lui dit une voix intérieure, tu es presque arrivé. Arrête-toi, et
dis à ta cape de fermer le tunnel. » Une
demi-seconde après, les dragons se cassaient le nez sur la surface
invisible. Thanatos, écumant de rage, sortit une lame de feu et la
dirigea vers l’obstacle. « Feu
de l’enfer, dissous cet obstacle. » Rien
ne se passa. Il recommença, sans y parvenir. Les dragons, alors,
obéissant à l’ordre du Maître soufflèrent le feu de la
fournaise.
Le
Prince, de l’autre côté, semblait plongé dans ses réflexions.
Il leur tournait le dos. Pourtant une chaleur infernale traversait la
plaque, mais sans la dissoudre. Il fallait partir très vite, cette
chaleur ferait mourir n’importe qui. D’un seul coup, à travers
la paroi translucide de la cape, Thanatos et Lucifer le virent se
pencher et dessiner un cercle dans lequel il inscrivit une étoile.
Puis, à chaque extrémité des branches, il plaça une Nummulite de
nacre. D’un pas, il se mit au centre de l’étoile, prit la pierre
violette dans son poing gauche, et, en leur faisant un grand salut,
il disparut !
Jamais
deux sans trois, cette fois-ci, va-t-elle être la bonne ? se
demanda la toute petite étoile, je vais voir cela.
Elle
était un tout petit peu inquiète, car elle n’aurait plus droit à
aucun essai. Son Prince serait perdu pour toujours, et elle serait
reléguée aux Limbes Étoilettes. Il
fallait cette fois-ci qu’il la réclame, sinon, elle ne pourrait
plus rien faire. Elle savait que la cape avait servi. Mais son
pouvoir ne lui avait pas permis d’aller voir chez Lucifer ce qui
pouvait bien se passer !
le Prince se retrouva surpris, au-dessus de la dune aux Nummulites. Se
baissant, il reconstitua son stock, puis s’assit, épuisé. Son
étoile l’avait bien protégé, mais il avait perdu cette fabuleuse
cape, et dire qu’au début il n’en voulait pas, il l’avait même
jetée dans l’eau ! Il se sentait bête et prétentieux. Les
regrets ne servant à rien, il préféra laisser son cœur lui
parler. « Merci,
lui dit-il de l’intérieur, si tu pouvais venir maintenant !
J’ai tant besoin de toi, tant besoin de te parler… »
La
petite étoile bleutée apparut sur son genou gauche.
– Félicitations,
Swen. Tu as fait le deuxième Geste. Tu as réussi à bloquer
Lucifer ! Toute la Terre devra te remercier.
– Bonjour
mon étoile préférée, je ne sais toujours pas ton nom, et je suis
si fatigué !
– Alors
endors-toi, je veille, tu ne risques plus rien. Nous en parlerons
après. Je m’appelle Auroral, lui souffla-t-elle tandis que ses
paupières devenaient lourdes.
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